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Norbert Zongo, Ken Saro-Wiwa, Camara Laye, Yambo Ouologuem, Ahmadou Kourouma, Hampaté Bâ
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Norbert Zongo, Ken Saro-Wiwa, Camara Laye, Yambo Ouologuem, Ahmadou Kourouma, Hampaté Bâ

Deuxième partie

II CAUSES ET CONSEQUENCES DES REPRESSIONS

a) LA SOURCE DES VIOLENCES CONTRE LES ECRIVAINS

L’écriture d’un livre et la politique sont les deux sources principales qui ont causé la mort de beaucoup d’écrivains africains. Parfois la répression est venue des deux sources pour régler le compte à l’écrivain, en le faisant taire pour toujours.

Dim Delobsom a appris à ses dépens qu’on ne s’attaque pas impunément aux puissantes confréries des sorciers en divulguant leurs secrets. Pourtant c’est ce qu’il a fait en dévoilant les secrets des sorciers dans son livre. Pour beaucoup de gens de l’époque, les sorciers n’étaient pas étrangers à la mort du premier lauréat du Grand Prix Littéraire de l’AOF.

D’autres ont plutôt orienté leurs soupçons vers la politique. Dim Delobsom a été intronisé « naba », c’est-à-dire chef traditionnel de Sao, son village en 1940 ; 40 jours après son intronisation, la mort subite qui le foudroya, surprit tout monde. Il n’avait que 42 ans. Le trône du chef est très convoité chez les Mossi. Sa conquête se fait dans une rivalité souvent mortelle.

Il en est de même dans le cas de Fily Dabo Sissoko. C’est son récit intitulé La Savane rouge qui fut le point de départ de sa mort. Le rouge de la savane, est une dénonciation de la violence coloniale, mais aussi un symbole révolutionnaire, celui de son appartenance à l’International socialisme. L’appui du parti communiste français au RDA, a permis de voler au révolutionnaire « Gandhi africain » sa victoire aux élections à l’indépendance au Mali. Les militants de ce parti français regretteront leur méprise plus tard quand ils apprendront du leader du RDA lui-même Houphouët-Boigny qu’il était un pseudo- révolutionnaire. L’alliance de son parti avec le parti communiste français, n’était qu’un stratagème, un subterfuge pour profiter de l’appui du parti de la faucille et du marteau. Le vrai révolutionnaire, c’était Fily Dabo Sissoko qui était à la base de la création de tous les partis progressistes de la sous-région (Sénégal, Mali, Benin, Burkina….).

Nous avons vu que l’histoire de son livre rouge lui a ouvert les portes de la littérature puis celles de la politique qui en fin de compte, l’ont conduit dans une barrique d’acide.

Son compatriote Amadou Hampaté Ba a eu plus de chance. Sa route littéraire ne l’a pas conduit à sa dernière demeure, mais il n’a pas pu éviter tous les coups de représailles destinés aux littérateurs africains. Son livre, L’Étrange Destin de Wangrin a attendu plus de 50 ans avant d’être reconnu, publié et primé. Ses récits de vie ont subi le même sort, et n’ont pu voir le jour que grâce à sa studieuse 6e femme,[1] une Allemande qui les a publiés à titre posthume. Sa mort à l’étranger en exil politique, loin des siens provenait d’un coup d’Etat qui les ont, lui et ses amis politiques écartés du pouvoir

Nous avons dit plus haut que les mères africaines, comme de Soundjata Keïta qui l’a dit, préfère la mort à la honte pour leur fils. C’est par euphémisme qu’on parle de santé mentale pour Yambo Ouologuem, en clair, il s’agit de folie.

Cela fait des décennies que le premier lauréat du prix Renaudot a perdu la raison, au point de ne plus pouvoir se présenter en public. Tout est parti de ce fatidique livre, Le Devoir de violence dont la publication n’a attiré que des malheurs à l’écrivain dogon, écartés du pouvoir.

Les mésaventures de Laye, Kourouma, et de Zongo pour ne citer que ceux-là ont d’abord commencé par une histoire de livre avant de devenir un drame politique.

À travers leurs romans, ces écrivains lancèrent des diatribes acerbes pour dénoncer les répressions sanguinaires de certains dictateurs .Quelle audace d’oser s’amuser avec la queue d’un serpent aspic ! Le combat littéraire se transporta sur le plan politique. L’affront se paya très cher. Les romanciers le payèrent de leur vie. C’est à distance que Sékou Touré réussit à inoculer la gangrène de la mort à Camara Laye, en s’attaquant à sa famille. Retenue de force en Guinée. Quand Norbert Zongo a écrit le Parachutage, il a confié son manuscrit à Ahmadou   pour demander des conseils. Plus tard, celui-ci écrivit sa propre satire pour dénoncer le même « dictateur ».

Derrière Gouama et Etienne Kodio dans le Parachutage se profile l’image d’Etienne Yadéma dont les coups d’États respectifs se déroulent un 13 janvier. Yadéma a-t-il eu une implication quelconque, de loin ou de près, dans la mort suspecte des deux écrivains ? Il est difficile de le savoir. Seul demeureront les soupçons, les rumeurs.

Le tableau récapitulatif suivant peut donner une idée des causes qui ont entraîné la mort des écrivains.

Auteurs

Causes littéraires de la mort : livres incriminés

Causes politiques de la mort

Types de mort

Dim Delobsom (1898-1940)

Les Secrets des sorciers noirs (1934)

Intronisation comme chef de Sao

Assassinat par empoisonnement

Fily Dabo Sissoko (1900-1964)

La Savane rouge (1934)

Marche d’opposition politique en 1963 pour protester contre le franc malien. Arrestation et emprisonnement à Kidal

Mort accidentellement selon les autorités, Wikipédia sur internet parle d’assassinat et corps dissout dans une barrique d’acide

Amadou Hampaté Ba (1901-1991)

L’Étrange Destin de Wangrin écrit vers les années 1920 n’a pu être publié qu’en 1973

C’est à la suite d’un coup d’Etat qu’il a demandé l’asile politique à Houphouët Boigny

Mort en exil ce qui est une mort terrible pour un sage africain dont le plus grand souhait est de mourir au milieu des siens

Camara Laye (1928-1980)

Dramous(1966) livre qui a sonné son arrêt de mort

Arrestation de son beau-père, sa femme retenue de force en Guinée

Cancer généralisé, mort à l’abandon, dans la plus haute des solitudes et une pauvreté humiliante

Ahmadou Kourouma (1927-2003)

En attendant le vote des bêtes sauvages (1998)

Il sentait la menace de mort de ses ennemis peut être ceux qui se sentaient visés par son livre. Alors il déclinait toutes les invitations en provenance du Togo

Mort au cours d’une opération bénigne de prostate

Norbert Zongo (1952-1998)

Le Parachutage (1988)

Journalisme d’investigation impliquant des personnalités dans une affaire scabreuse

Attaque d’un commando qui brûla son véhicule, réduisant l’écrivain en six kilos de charbon

Yambo Ouologuem (1940)

Le Devoir de violence (1968) c’est surtout le milieu littéraire qu’on soupçonne d’être à la base de ses malheurs

Combat la Négritude

N’est pas encore mort mais sa maladie, la folie est pire que la mort, ça fait des décennies qu’il ne se présente plus en public et on ne peut pas non plus lui rendre visite. On peut imaginer le pire : est-il enfermé, enchaîné ?[2]

Nazi Boni (1912-1969)

Crépuscule des temps anciens(1962)

Ascension dans l’opinion populaire pour être présidentiable

Accident insolite de la route en pleine brousse

b) LE DECLIN DE LA LITTÉRATURE REVOLUTIONNAIRE

Le titre de l’article a déjà annoncé notre hypothèse : l’hécatombe chez les écrivains africains, par d’atroces répressions qu’ils ont subies a entraîné de multiples conséquences. Le déclin littéraire, surtout la littérature révolutionnaire est un constat lié à ces tragiques répressions.

Hausser parle de révolte mais il s’agit bien d’une révolution longuement réfléchie et élaborée pendant bien longtemps.

Les prosateurs des deux premières générations (nous dit Hausser) écrivent un français si correct et se conforment à des canons si classiques (imités de Maupassant, ou d’Anatole France) qu’ils se sont fait taxer d’académisme par leurs congénères (…)

La révolte éclate en 1966-1968 grâce à deux romans très différents. L’un Le Devoir de violence du Malien Yambo Ouologuem, adopte le ton du conteur islamique ironique et se montre iconoclaste de bout en bout démythifiant la négritude et le passé africain.

Le second texte, Les Soleils des indépendances, innove surtout par le style : l’auteur, l’Ivoirien Ahmadou Kourouma malinkise fortement son français.[3]

En réalité, l’innovation, si l’on veut la révolution littéraire ou le refus de parodier la littérature de la Métropole commence bien avant 1968, avec Randau autour des années 1920 Dans son article intitulé : Robert Randau 1873-1950, Jean Bogliolo présente l’écrivain révolutionnaire, innovateur si on veut, sous les traits de Rabelais et de Cassard, son propre personnage qui l’incarne la voire toute l’Afrique. 

L’éminent professeur Jean Bogliolo présente cette fois Robert Randau dont la personnalité, l’œuvre considérable rappellera combien l’Algérie connaissait une vie intellectuelle étonnamment féconde (…)

D’origine lyonnaise par ses ascendants, Robert Arnaud (qui devient sur le plan littéraire Robert Arnaud naquit le 13 février 1873 à Alger- Moustapha son père également à Pied noir) était un des chefs du corps des interprètes militaires de l’Armée d’Afrique(…) p. 1

C’est sans doute dans son esprit d’indépendance qui l’avait un jour poussé à créer l’ « Algérianisme,   « formule d’autonomie esthétique » basée sur la notion d’effort et destinée à libérer l’écrivain des clichés de l’escatisme de ce que Randau avec une colère de gorge appelait ironiquement « la littérature d’escale »

Le premier, il prononça le mot, titrant son roman Les Algérianismes en 1911.

(20 ans plus tard) A Alger dans une réunion au « Café Grüber » avec quelques amis Randau affirma :

« Nous sommes des créateurs. Nous avons créé un genre. Je dis bien : un genre, un genre bien à nous, nourri d’une sève toute particulière. Et si Tustes a parlé de « franquisme », nous pouvons, nous devons, nous parler d’algérianisme coupa (…) Jean Panier, p. 6

Il s’égayait et nous égayait gaillardement par certains propos d’une verve coruscante et rabelaisienne. p. 9

Cassard est un des nombreux surnoms de Randau qui l’assimile à un de ses personnages. (Il) veut donner à l’Algérie une littérature originale, instituer l’œuvre d’art dans un sens africain (…) Chez Randau (…) le rire de Rabelais n’exclut pas la sagesse de Montaigne. P.13

Tel fut Robert Randau (…)

« Il est notre plus grand écrivain colonial » et l’avenir lui appartiendra un jour. « Je suis convaincu qu’un jour viendra, écrivit-il à Laurent Ropa (…) que l’Algérie ou plutôt l’Afrique du nord aura une large autonomie »[4]  

Enfin terminons cette présentation de Randau par le portrait de Cassard qu’on lui assimile :

« Cassard est un brave type, un Algérien pur-sang : il n’attaque rien ni personne sauf ce qui est nuisible à nos intérêts d’Algériens : et puis il dit merde quand il faut dire merde. »[5]

En arrivant dans les années 1920 à Ouagadougou, malgré les conditions de vie difficiles qui y régnaient Randau n’a pas abandonné ses activités littéraires. Le premier roman qui en sortit fut L’Étrange Destin de Wangrin. C’est un livre révolutionnaire qui correspondait bien à l’orientation littéraire de l’ethnologue non conformiste. Randau voulait une autonomie esthétique à l’Algérie et à l’Afrique du nord, voire à toute l’Afrique, en créant l’école littéraire algérianiste en 1920. Ce projet ne plaisait pas à tout le monde. Pour l’empêcher de le réaliser, on l’envoya brûler dans l’enfer bancovillois. Là aussi sa lutte littéraire continua, Amadou Hampâté Ba fait partie des ouailles du maître révolutionnaire de la plume par la préservation de la personnalité africaine dans l’écriture. L’abondante littérature orale qui est transplantée dans son récit est une révolution du style. Les contes, adages, devises, devinettes, proverbes, chansons populaires et rituelles, incantations sont innombrables dans le récit de l’écrivain peul.

Malheureusement à l’époque coloniale la littérature orale n’avait pas encore de statut culturel. C’est ce qui a probablement milité au rejet (temporaire) du livre dans les années 1920.

Autre incompatibilité du livre avec l’idéologie coloniale : la toile de fond magique du récit. L’intrigue du roman est imbibée de magie du début à la fin. Pour les colons, la magie n’est que de la « pensée puérile », de la « pensée sauvage ». Inutile d’en faire un élément culturel pour confectionner un récit littéraire.

Enfin le troisième élément qui a milité pour le rejet du livre est certainement le personnage de Wangrin, un Nègre intelligemment supérieur aux Blancs qu’il ridiculise et humilie. Cela s’est passé à propos de la réquisition des bœufs par le commandant de Diagambara (Bandiagara), de l’escroquerie de la chefferie de la chefferie de Twou (plusieurs dizaines de millions) à la barbe du commandant de Yagouwahi (Wayigouya). Le commandant de Diossola (Dioulasso) fut même drogué, envoûté et transformé en zombie dans les mains de Wangrin.

Impossible ! Un tel livre ne pouvait pas être toléré par les institutions littéraires coloniales. Il a fallu attendre 53 ans pour que ce livre révolutionnaire soit accepté par les institutions littéraires françaises.

Tous les autres livres révolutionnaires ont rencontré les mêmes problèmes qui ont entraîné leur rejet. Les Secrets des sorciers noirs, une sorte de recueils de nouvelles, en tout cas de récits magiques racontés à l’africaine, d’abord couronné du Grand Prix Littéraire de l’AOF, puis tombé dans les oubliettes, il n’apparaît même plus dans aucun livre d’histoire littéraire. On tend même à lui dénier le statut d’œuvre littéraire. Pourtant dans la préface, c’est sur sa littérarité qu’insiste Randau. « Douce Mort » est un des titres des récits qu’il analysé dans la préface avec beaucoup d’émotion en soulignant sa poéticité. Il en est de même de Crépuscule des temps anciens qui semble être une œuvre sœur jumelle de L’Étrange Destin de Wangrin avec autant de contes, chansons, adages, proverbes, devinettes, ainsi que l’importante toile de fond magique.

Hausser est notre maître à qui nous venons de dédier notre dernier livre de critique littéraire. Nous faisons partie de ses ouailles depuis 36 ans. Nous sommes d’accord avec lui pour parler non pas de « révolte » des années 1966-1968, mais carrément de révolution. Comme on le constate, il s’agit d’un combat cassardien qui a commencé beaucoup plutôt d’abord en Algérie, puis à Bancoville où Nazi Boni en a subi l’influence.

En 1982, nous préparions une thèse de doctorat à Bordeaux III. Les Soleils des indépendances faisait partie de notre corpus. Au cours d’un voyage à Ouagadougou, nous avons rencontré Kourouma. Entre autres questions, nous avons posé celle du choix du titre de son roman. Il nous a alors expliqué que c’est au cours d’un voyage à Togobala (son village natal en Guinée) que les anciens lui ont posé la question suivante : « Ahmadou, plusieurs soleils comme ceux de Soundiata, des Blancs, de Samory Touré se sont succédé mais sont tous passés. À quand la fin des soleils des indépendances ? » . L’auteur dit qu’il avait fini d’écrire son roman et était à la recherche d’un titre. Il bondit sur l’occasion et titra son œuvre que les paroles des anciens de son village : « Les Soleils des indépendances ». À la page 33 de Crépuscule des temps anciens, on lit ceci : « Des générations étaient nées, avaient fait leur soleil et disparu. » Kourouma n’a fait que mettre « s » pour poétiser son titre. Avait-il puisé son titre du livre du Nazi ou comme il l’affirme dans les paroles des anciens de son village ? Quoi qu’il en soit, il s’agit d’une expression très courante en Afrique occidentale. Les Bwaba et les Malinké l’utilisent couramment. C’est pour africaniser leurs récits que les deux écrivains révolutionnaires l’ont utilisée.                  

De 1920 à nos jours, la violence exercée contre les écrivains demeure une pratique permanente en Afrique. Cette liste est loin d’être exhaustive mais elle est un indicateur qui montre l’ampleur du mal. Deux causes principales sont à l’origine de cette hécatombe des écrivains : la politique et la littérature. Beaucoup d’écrivains africains sont morts à cause d’un livre qu’ils ont écrit. Pour d’autres, c’est leur engagement dans des actions politiques qui les ont expédiés dans l’au-delà. Parfois leur mort est liée à la fois à des raisons politiques et littéraires    

Évidemment les conséquences engendrées par l’hécatombe sont innombrables. Le déclin littéraire est l’une des plus amères constatations. Si tous ces talentueux révolutionnaires de la plume assassinés étaient encore en vie, la littérature africaine aurait pris plus d’envol.

CONCLUSION

            La liste des écrivains africains pendus, fusillés, calcinés, empoisonnés ou fondus dans l’acide est longue et vraiment effroyable. Nous nous sommes contenté ici de citer quelques victimes francophones. Les victimes de la violence chez les écrivains anglophones sont peut-être plus nombreuses .Le Nigérian Wole Soyinka a semble-t-il été emprisonné plusieurs fois. Il a plusieurs fois frôlé la mort, et n’a réussi à échapper aux tueurs à gage qui le poursuivaient qu’en changeant d’hôtel chaque semaine. Son compatriote Ken Saro Wiwa a eu moins de chance. Ses livres et son engagement politique, l’ont conduit à la mort, suspendu au bout d’une corde.

La cause de ces violences est toujours restée la même depuis le début en 1920.L’ engagement politique par l’action ou par le livre. Le second combat permanent des écrivains depuis le début, a été aussi celui du style. À la période pré-Négritude, Randau a été l’un des instigateurs de la recherche formelle propre à l’Afrique, la poétique de la Négritude reflétait cette authenticité africaine du style. Mais selon Hausser le genre narratif des années 1950 n’avait rien arrêté de précis pour la forme romanesque africaine. Chacun écrivait dans son coin comme il pouvait. Mais le repère était surtout les classiques français qu’on prenait comme modèles. C’est pourquoi, le style était bien châtié, dans un français impeccable comme voulu académiquement par la vigilance des gardiens de la langue. Voilà ce qui justifiait le rejet des œuvres de Bancoville. La période post- Négritude apporta la révolution stylistique avec Kourouma et Ouologuem. Évidemment Nazi Boni les a précédés et la reconnaissance est venue plus tard. Cela a permis aussi la réhabilitation de certains écrivains de Bancoville comme Hampâté Bâ.

Aujourd’hui encore, l’actualité romanesque en Afrique demeure l’innovation du style. Malheureusement l’assassinat des premiers révolutionnaires du style romanesque africain a freiné l’envol de la littérature sur le continent noir et surtout sa révolution stylistique où ils avaient rejoint les écrivains de Bancoville qui l’avaient commencé bien avant vers les années 1920.

L’optimisme qui nous fait encore espérer vient de l’inversion de la tendance du déclin. Les écrivains révolutionnaires, malgré leur disparition, continuent d’être pris comme modèle que beaucoup de jeunes veulent imiter. Ils ne jurent que par eux.

Selon Hausser :

La poésie d’Afrique noire  et de langue française, on l’a vu, s’élabore en une dizaine d’années (1935-1945), au sein d’une « camaraderie » autour d’un programme, complexe dans sa mise en œuvre mais simple dans ses présupposés et dans ses buts : il existe une culture nègre ; il faut en montrer la valeur et l’intérêt par la création d’œuvres actuelles.

Rien de tel du côté des prosateurs. Le « récit africain » se prépare en une vingtaine d’années, sinon plus et sans concertation : chacun écrit de son côté avec ses propres exigences ; pas de programme, même si des orientations sont repérables, même si des « règles » sont ultérieurement édictées[6]

Cette assertion d’Hausser n’est vraie que dans le cas de la poésie africaine non celui du récit. À moins qu’on se limite aux récits écrits aux bords de la Seine.

En Algérie est née en 1920, une école littéraire qui avait le même programme que la Négritude. Son promoteur, l’ethnologue non-conformiste Randau fut affecté à Ouagadougou où il continua son combat de réhabilitation culturelle de l’Afrique. Malgré les diverses répressions qui ont fait vaciller sa révolution culturelle, la moisson peut porter à l’optimisme. La révolution littéraire dont on parle aujourd’hui est le fruit des élèves de maître Randau. De Amadou Hampaté Bâ, en passant par Dim Delobsom, Fily Dabo Sissoko, Birago Diop, Nazi Boni à Ahmadou Kourouma, c’est le même combat cassardien qui continue. L’influence va au-delà de l’Afrique occidentale. Labou Tansi, Emmanuel Dongala pour ne citer que ceux-là sont aussi des voix littéraires révolutionnaires en Afrique centrale qui ne sont pas exempts de l’influence de l’école littéraire de Bancoville ? Jusqu’en Afrique du Sud, à ce qu’il paraît l’écriture du Malinké de Togobala fait sensation aujourd’hui.

Pour mieux appréhender cette littérature qui met en avant la défense de la personnalité culturelle africaine, certains chercheurs proposent des approches méthodologiques comme la la « poétique magique[7] », la « poétique du Fa[8] » qui rappelle la spécificité littéraire qu’on nomme en Amérique latine le « réalisme magique ».     

Bibliographie

-Bâ Hampâté Amadou, L’Étrange Destin de Wangrin, / Hampâté Paris, 10/18, 1973

  • Amkoullel, l’enfant peul, Paris Actes du Sud, 1991
  • Oui mon commandant ! Paris Actes du Sud, 1994
  • Koumen, texte initiatique des pasteurs peuls, Paris Mouton, 1934

-Dim Delobsom, Les Secrets des sorciers noirs, Libraires Émile Nourry, 1934

-KOUROUMA Ahmadou, Les Soleils des indépendances, Paris, Seuil, 1968

  • En attendant le vote des bêtes sauvages, Paris, Seuil, 1998
  • Allah n’est pas obligé, Paris, Seuil, 2000

Laye Camara, L’Enfant noir, Paris, Plon (1953) 2007

  • Dramous, Paris, Plon, 1966

-BONI Nazi, Crépuscule des temps anciens, Présence Africaine, 1962

-OUOLOGUEM Yambo, Le Devoir de violence, Paris, Seuil, 1968

PALM Jean Marc, Ouezzin Coulibaly et Nazi Boni, deux leaders politiques de Haute – Volta, Ouagadougou, Edition du Kraal, 2014.

SISSOKO Fily Dabo, La Savane rouge, Avignon, Presses Universelles (1934), 1962

SOCE Ousmane, Karim, Paris, Nouvelles Latines, 1935

ZONGO Norbert, Le Parachutage, Ouagadougou, Edit ABC, 1988.

Œuvres critiques et de connaissance générale complétées par des informations tirées du site Wikipédia sur internet

  • Arnaud Jacqueline, La Littérature maghrébine de langue française, Publi sud, 1986
  • DAKOUO Yves, Émergence des pratiques littéraires modernes en Afrique francophone. La construction de l’espace francophone au Burkina Faso, Paris, Harmattan Burkina, 2011.
  • DEJEUX Jean, Littérature maghrébine de langue française, Ottawa, Éditions Naaman, 1973
  • HAUSSER Michel, MATHIEU Martine, Littératures francophones III. Afrique noire, Océan Indien, Paris, Éditions Belin, 1998
  • MEMMI Albert, Écrivains francophones du Maghreb, Paris, Seghers, 1985

Anthologie des écrivains français du Maghreb, Paris, Présence Africaine 1969

  • GO Issou, Poétique et esthétique magiques, Paris, Éditions Harmattan Burkina, 2014
  • KESLOOT, Lylian, Les Écrivains noirs de langue française, naissance d’une littérature, Université de Bruxelles, (1963) 1977
  • MOURALIS Bernard, Littérature et développement, Paris, Éditions Silex, 1984.
  • MERCIER Roger et M. et S.B. ATTESTINI, Birago Diop, Fernand Nathan, 1964
  • SIDIBE Modibo Halassi, Fily Dabo Sissoko un grand sage africain, Bamako, Imprimcolor, 2007.

Articles et ouvrages communs

-BOGLIOLO Jean, Robert Randau, 1873-1950, in Algérianiste, N°43, 1988.

-BORGO MANO Madeleine, « Écrire, c’est répondre à un défi » in notre Librairie, cahier spécial, Ahmadou Kourouma : l’héritage, N 155-156, 2004,      P.136-143.

-SANAKOUA Bintou, « Amadou Hampâte Bâ (vers 1900- 1991 » Le Temps des marabouts dirigé par  David Robinson et Jean Louis. Triaud, Karthala, 1977, pp395-410

 

[1] Bintou Sanakoua, op. cit, « Les épouses de A. H. Bâ ont joué un rôle important dans sa vie. Il a épousé au total six femmes, dont deux seront divorcées (…) Une joue un rôle déterminant dans la vie de A. H. Bâ, c’est Hélène Heckmann qu’il rencontre en 1966. Ses relations avec Heckmann vont féconder ses activités d’écrivain (…) Quand il lui fait part de la promesse, non encore tenue, faite à Wangrin d’écrire et de faire connaître sa vie. Celle-ci l’y encourage et s’emploie activement à trouver un éditeur… »

[2] Nous avons mené les recherches sur Le Devoir de violence depuis 1978 dans le cadre de notre mémoire de maîtrise, ce roman faisait partie de notre corpus de thèse. Depuis ce temps, nous avons tout mis en œuvre pour rencontrer l’auteur. Mais en vain !

[3] M. Hausser, op. cit, p. 95

[4] Jean Bogliolo, op. cit,

[5] Albert Memmi, op. cit, p.269. Il cite en fait un extrait du roman de Randau Les Colons, Sansot, 1907.

[6] M. Hausser, po. Cit, p. 71

[7] Go Issou, Poétique et esthétique magiques, Harmattan Burkina, 2014.

[8] Kakpo Mahougnon, Introduction à une poétique du Fa, Cotonou, Les Éditions des diasporas, 2009.

Pr Issou GO

Tag(s) : #Critique littéraire
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