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LES FONCTIONS DU SACRIFICE HUMAIN DANS LA LITTÉRATURE AFRICAINE
LES FONCTIONS DU SACRIFICE HUMAIN DANS LA LITTÉRATURE AFRICAINE
LES FONCTIONS DU SACRIFICE HUMAIN DANS LA LITTÉRATURE AFRICAINE

Résumé[1]

Le sacrifice humain est une pratique qui date depuis la nuit des temps. Isaac le fils d’Abraham et Jésus-Christ sont des exemples que les religions enseignent. À travers cinq (5) œuvres littéraires africaines on découvre trois (3) fonctions des sacrifices humains : les fonctions euthanasique, juridique et économique. Trois exemples de sacrifices humains illustrent la fonction euthanasique : l’encéphalopathe Idafa dans Un sang fort de Wole Soyinka[2], les nauséabonds albinos dans Crépuscule des temps anciens de Nazi Boni et Labolo « l’enfant serpent » qui est probablement atteint de kwashiorkor dans La Princesse de Konkoliba.

Contrairement à ces trois victimes euthanasiques, Le Monde s’effondre présente un exemple de sacrifice qu’on peut classer dans la fonction juridique. Ikemefuna est sauvagement assassiné, sacrifié aux mânes des ancêtres pour un crime qu’il ignore. Au moment des faits, il était tout petit, il ne pouvait donc pas être de lié au meurtre de la femme dont le jugement le condamne à la mort.

Enfin, c’est dans un souci économique que Joseph Béogo explique le cas d’un triplé rescapé dans Dieudonné ou l’enfant miraculé où une loi demande par souci économique qu’on enterre vivants les jumeaux considérés comme des génies ou ‘’Kinkirissi’’ en mooré.

Les explications données ne sont que des subterfuges ! Tout ce qu’on recherche c’est l’élimination des victimes pour des causes bien camouflées.

Mots clés : Sacrifices humains, victimes sacrificielles, divinités, euthanasie, justice, économie, encéphalopathie, albinos.

On définit habituellement le sacrifice comme un don à une divinité. Ce don peut être gratuit, il est parfois une occasion pour exprimer son amour à la divinité. Certains sacrificateurs cherchent à obtenir en récompense de leur don une aide de la divinité. Pour entreprendre une action importante, l’offrande du sacrifice est censée donner une meilleure chance d’aboutissement. Selon la nature de l’entreprise, les devins prescrivent des offrandes souvent identiques qu’ils ont apprises dans les écoles de divination. Ce sont les volailles qui conviennent pour les petits sacrifices. Parfois on se contente du poussin d’un jour et même un œuf est suffisant comme le sacrifice à offrir à la divinité. Pour les demandes plus importantes on offrira une chèvre, un mouton, un bœuf, un chameau, etc.

L’offrande des sacrifices humains ne se limite pas seulement à l’Afrique, l’histoire des religions nous apprend qu’Abraham avait voulu sacrifier son fils Isaac à Dieu. Dieu a refusé ce sacrifice humain en remplaçant la victime par un bélier. La « fête du mouton » est une commémoration du refus du sacrifice humain chez les musulmans. Il en est de même chez les chrétiens où Jésus a été choisi par les juifs pour mourir crucifié afin de sauver l’humanité de ses péchés. Ces exemples témoignent que le sacrifice humain était une réalité depuis la nuit des temps. La littérature africaine contient des exemples de sacrifices humains comme ceux que nous venons d’évoquer. L’immolation d’Isaac aurait permis à Abraham d’exprimer à Dieu son amour. Ce sacrifice était donc un don d’amour gratuit à Dieu qui a préféré un bélier à la place de la victime humaine. Quant à Jésus, c’est le peuple juif qui voulait sa tête à cause de ses allégations : il affirmait être le messie venu pour sauver Israël. Y a-t-il des raisons similaires dans les cinq (5) ouvrages que nous avons choisis pour y étudier le sacrifice humain ? Ifada est un simple d’esprit dans la pièce intitulée Un sang fort de Wole Soyinka. On l’a choisi dans un village comme victime d’un sacrifice humain. Ce triste sort est-il lié à son handicap d’enfant encéphalopathe ? Cette question est aussi valable pour l’albinos dans le roman de Nazi Boni intitulé Crépuscule des temps anciens[3]. Chez les Bwamu au Burkina Faso, les albinos sont habituellement choisis pour être des victimes de sacrifice humain parce qu’ils occupent dans la stratification sociale, la dernière place des humains venant juste avant les animaux. Eux aussi sont des malades dont la dégradation physique occasionne souvent des handicaps graves. Est-ce pour cela qu’on les confond aux animaux en les immolant comme des victimes sacrificielles ?

Labolo dans La Princesse de Konkoliba[4] est aussi un enfant malade. On l’accuse d’être « un enfant serpent » très dangereux pour sa mère qu’il peut assassiner à tout moment. On décida de le faire avaler par un serpent boa ! Dans Le Monde s’effondre[5], Ikemefuna a été sacrifié à la suite d’un jugement. Est-ce une fonction judiciaire que Chinua Achebe nous enseigne dans ce roman comme la raison de ce sacrifice humain ? Enfin dans la nouvelle de Joseph Béogo, c’est la raison économique qu’on peut soupçonner d’être à l’origine du massacre des triplés.

Ces questions reflètent nos préoccupations dans cet article. À l’aide de l’énonciation, nous essayerons, en nous appuyant sur des signes et des indices, de cerner les fonctions des sacrifices humains. C’est en nous fondant sur l’analyse énonciative des différents récits qui traversent ces œuvres que nous parvenons à découvrir ces fonctions du sacrifice humain. Ces significations profondes sont camouflées dans les structures des textes.  L’analyse énonciative permet de les cerner. Trois parties nous serviront à découvrir ces significations profondes des œuvres : la fonction euthanasique, celles de la justice et de l’économie.

  1. LA FONCTION EUTHANASIQUE

L’euthanasie est un acte médical qui provoque la mort d’un malade incurable pour abréger ses souffrances. En Afrique cette pratique médicale est loin d’être ignorée. C’est dans Un sang fort, pièce de théâtre du premier écrivain africain auréolé du Prix Nobel de la littérature, le Nigérian Wole Soyinka qu’on peut cerner cette fonction.

Dans la pièce, Idafa, la victime sacrificielle est présentée comme un simple d’esprit. Summa, la fille du sacrificateur est déjà informée du triste sort d’Ifada qu’on vient de désigner comme une victime d’un sacrifice humain. À travers les expressions qui suivent, elle fait une présentation de l’infortuné enfant. Elle aurait préféré « qu’on l’envoie dans un endroit fait pour les gens de son espèce ». » p. 62. Probablement Emma considère Idafa comme un fou qu’il faut isoler. Les caractéristiques négatives à l’endroit d’Ifada sont nombreuses : on le trouve « inutile », « incapable de gagner sa vie », « hideux », « sale » « difficile à supporter du regard ». « Lui, tout ce qu’il sait, c’est se traîner en bavant » p. 162. Pour Summa « (Idafa) devrait déjà s’estimer heureux qu’on lui permette de vivre » p. 62. « Sa vie me dégoûte « dit-elle p. 62. Elle le trouve « malsain » : le jour du nouvel an, elle espère « ne rien voir de malsain, une journée seulement » p. 63. Malgré l’humilité du pauvre enfant malade, Summa l’insulte avec méchanceté : « Ifada est revenu en rampant craintif, à sa place préférée […..] Sale monstre ! Tu ne pouvais pas aller ailleurs […..]  Sale baveux. » p. 79.

Une fillette de son âge renchérit la méchanceté de Summa à l’endroit d’Ifada en trouvant qu’il «a une tête qui ressemble à un œuf d’araignée et [sa] bouche dégouline comme le bord d’un toit » p. 66.

À travers ce portrait très peu luisant du gamin, Ifada apparaît comme un malade, un enfant encéphalopathe incapable de se prendre lui-même en charge. En Afrique, ces types de malades qui portent souvent des déformations physiologiques sont assimilés aux génies. Plusieurs techniques sont utilisées pour les exterminer. Ici, l’euthanasie semble être la solution trouvée.

L’encéphalopathie est une maladie dégradante qui développe divers handicaps. Souvent la dégradation physique chez le malade l’oblige à vivre aux dépens de ses parents. La dégradation physiologique, on l’a vu chez Idafa, faisait baver celui-là continuellement et le rendait dégoûtant.

Certains parents pensent que la mort est préférable aux maladies dégradantes et humiliantes comme l’encéphalopathie. Pour mettre fin aux humiliations, certains choisissent l’euthanasie. C’est le cas des habitants du village de Emma qui font la chasse aux encéphalopathes par l’euthanasie camouflée dans une coutume barbare appelée celle « du porteur » où l’encépholopathe est sacrifié.

C’est parce que Ifada est encéphalopathe, si on s’en tient aux reproches d’Emma à l’endroit de la victime qu’on l’a choisi comme porteur. Son rôle consiste à « porter sur sa tête tous les péchés d’une année [pour le village] » p. 81. Le rituel consiste à le promener dans tout le village pour que tout le monde le charge de ses péchés. Ensuite on le chasse du village.

Un encéphalopathe qui vit aux dépens de la société, chassé du village pour vivre seul en brousse cela équivaut à un assassinat. C’est pour cela qu’on peut affirmer qu’il s’agit d’un rituel assassin, une euthanasie pour l’extermination de ces types de malades.

Dans la pièce, Emma est un étranger du village où on sacrifie les encéphalopathes. Il crie sa colère contre l’injustice du choix de la victime : « Pourquoi avez-vous choisi un gamin sans défense ? » p. 81. Emma poursuit la critique de la coutume scélérate en évoquant le cas de son propre village. « Chez moi, nous croyons que l’homme qui tient ce rôle doit le faire de son plein gré. »6

Nous n’avons pas retenu dans cette étude les sacrifices humains de la magie. Nous avons expliqué dans Poétique et esthétique magiques que les rituels, dans la magie du pacte diabolique, sont déviés de leurs fonctions premières. Au départ, ils cherchaient à la réinsertion des enfants bandits, vrais incarnation du mal, habituellement abandonnés par la société à cause de leurs défauts surtout des violences qu’ils exercent sur les autres enfants qu’ils n’hésitent pas parfois à faire passer de vie à trépas.

En les initiant à certaines divinités réputées pour leur violence, on réussit à les ramener sur le bon chemin. Effectivement les rituels les orientent habituellement vers la chasse. Le combat des fauves les endurcissent et en font de bons chasseurs. Qui hésiterait à être l’ami d’un bon chasseur ? Voilà la belle astuce qui transforme celui que tout le monde détestait au village à cause de sa violence et de sa méchanceté pour en faire le chouchou distributeur de viande dont on se dispute maintenant pour avoir les bonnes grâces. Qui n’aime pas la viande ? La spécialisation peut s’étendre à la guerre. C’est cette voie que beaucoup de grands guerriers africains ont empruntée. Qui peut bouder le grand guerrier, le héros du village jadis haï par tous ?

C’est par la colonisation qu’on a donné une orientation politique et commerciale au rituel de réinsertion sociale. Le rituel est devenu un détestable sacrifice humain pour enrichir les cupides politiciens et les commerçants corrompus.

Dans L’Échange d’une vie contre la fortune, un élève albinos est assassiné, dépecé, et certains morceaux remis à un marabout pour enrichir un commerçant. Ce n’est pas un rituel social mais plutôt la recherche à satisfaire la cupidité d’un individu qui a tourné dos à la moralité.  Celui qui est capable de dépecer un homme, n’a pas besoin d’aide pour s’enrichir. Le combat des fauves s’est déplacé au village contre l’homme pour des causes individuelles et immorales. La fonction de cette typologie de récits est différente de celles que nous recherchons dans cette analyse. L’immoralité guide entièrement ce rituel du pacte diabolique.

Au colloque du Gabon sur les sacrifices humains, les auteurs d’articles sont intervenus dans le même sens. Dans « Délits de langues et crimes rituels » Auguste Moussirou-Mouyama souligne cette déviation du pacte diabolique dans les sociétés modernes en Afrique. « Rien, écrit-il dans ce processus involutif ne s’apparente  au sacrifice rituel qui n’avait rien de criminel dans ce sens qu’il répond à un rythme culturel, au besoin d’équilibre d’une société et à une vision de l’avenir qui n’a rien de commun avec la philosophie de  l’instant qui prévaut dans les crimes au mépris de la vie de l’homme et du destin collectif. Tout ce que l’on cherche, c’est devenir quelqu’un ».

Obame André et Essono Dominique font les mêmes critiques de ces horribles rituels magiques du pacte diabolique à ne pas confondre avec les rituels qui trouvent une justification culturelles. Ce qu’il faut retrouver, ce sont les vraies fonctions qui les motivent et critiquer les allégations trompeuses qui les camouflent.

Emma pense « [qu’] un village qui n’est pas capable de fournir son propre « porteur est un village qui ne contient pas d’homme » p. 81.

Comme les villageois restaient sourds à ses critiques, Emma sauva le pauvre Idafa en le remplaçant comme « porteur ».

Idafa n’est pas la seule victime sacrificielle dont le choix se fait d’une façon injuste. Crépuscule des temps anciens montre que l’albinos partage aussi le même triste sort. Le narrateur de ce roman raconte que dans la stratification sociale chez les Bwamu, l’albinos occupe le plus bas niveau social juste avant les animaux. À Bwan, c’est l’ancien Bazo qui perche au plus haut sommet social. Les initiés qui le suivent l’aident à administrer la société et à former les nouveaux initiés.

Les femmes et les enfants occupent le même niveau. Les premières sont destinées à la procréation pour la perpétuation de la communauté bwa, les autres se consacrent à l’apprentissage de la vie. L’albinos occupe le dernier rang social, fermant la boucle, juste avant les animaux et plus précisément le chien qui à défaut d’un sacrifice humain peut remplacer celui-ci.

On l’a vu pour l’encéphalopathe dans Un sang fort, le choix de la victime sacrificielle se fonde sur l’état de santé d’un malade. L’albinos est aussi une maladie. Dans le passé le manque de soins efficaces aggravait les handicaps des albinos. De simples morsures de mouches provoquaient des maladies de peau graves avec des plaies nauséabondes, rendant souvent le malade repoussant et insupportable au regard. Comme pour l’encéphalopathe, les passants s’écrient à son passage que la mort vaut mieux que certaines vies

La peau extrêmement claire, les cheveux jaunes ainsi que les yeux rouges ont convaincu les Bwaba que l’albinos est un génie, une victime expiatoire prisée pour laver les péchés de la société dans Crépuscule des temps anciens.

Wole Soyinka a refusé dans Un sang fort d’accepter le choix des victimes sacrificielles innocentes[6]. Emma un étranger de ce village s’est proposé volontaire pour réparer l’injustice en remplaçant Idafa, l’encéphalopathe. Chez Nazi Boni le narrateur ne manifeste aucun état d’âme par rapport au choix injuste de l’albinos. Il se contente de l’exhiber. Par contre, en Afrique anglophone, les écrivains n’ont jamais hésité à dénoncer les travers des coutumes rétrogrades. Les écrivains de la Négritude donnaient l’impression de cacher les mauvais côtés de l’Afrique et s’évertuaient à exhiber uniquement l’expression exaltante de sa culture. Tout le monde sait que Wole Soyinka fait partie de ceux qui ont critiqué ce narcissisme béat et inutile en s’écriant très tôt parmi les plus virulents  critiques de la Négritude que le tigre n’a pas besoin de crier sa « tigritude ». Il bondit sur sa proie et la dévore.

Critiquer les mauvaises coutumes africaines (probablement dans le sens de les rendre perfectibles) a toujours été un leitmotiv, le moteur qui a toujours conduit la littérature de Wole Soyinka. Il ne pouvait pas en être autrement pour une coutume aussi barbare que le sacrifice humain. Nazi Boni mérite le chapeau ! Crépuscule des temps anciens enfin est un espoir de mettre fin au narcissisme béat et inutile de la négritude en exhibant l’injuste sacrifice des albinos même si la critique n’est pas aussi apparente dans l’œuvre. Exhiber la coutume barbare est déjà un début de critique. Ce roman est-il de la Négritude à retardement déjà moins tolérante des manquements graves de la culture africaine ? Sans être aussi iconoclaste que Wole Soyinka, parler des tares culturelles africaines est déjà un début de recherche de solution pour les enrayer.


[1] Cet article a été initialement publié dans les Cahiers du CBRST, N° 10 Décembre 2016, Lettres, Sciences Humaines et Sociales, ISSN : 1840-703X, Cotonou (Bénin), pp.464-480.

 

LES FONCTIONS DU SACRIFICE HUMAIN DANS LA LITTÉRATURE AFRICAINE
LES FONCTIONS DU SACRIFICE HUMAIN DANS LA LITTÉRATURE AFRICAINE

 

Selon Michel Hausser[7], les balbutiements de la Négritude ont commencé en 1935 avant de connaître son apogée en 1948 avec la publication de l’Anthologie de la poésie nègre et malgache par Léopold Sédar Senghor[8]. Le roman de Nazi Boni met ainsi fin à la critique des écrivains anglophones reprochant le narcissisme de leurs homologues francophones, vingt-sept (27) ans après la naissance de la négritude. À la publication de l’œuvre, Nazi Boni était en exil politique chez son ami Léopold Sédar Senghor. Depuis, aucun écrivain ne cherche à voiler encore les tares de la culture africaine

Aujourd’hui, les écrivains francophones iconoclastes qui combattent les divinités assoiffées de sang humain sont devenus nombreux. Une véritable littérature contestataire y est née. Elle s’est engagée pour défendre le peuple, exhibant s’il le faut les plaies sociales les plus insoutenables.

La Princesse de Konkoliba de Go Issou est un roman des années 2000, donc bien loin de 1935 le départ de la Négritude. La critique euthanasique était déjà solidement installée dans l’œuvre littéraire francophone. Labolo le héros de ce roman était maladif dès sa naissance. A sept ans il traînait toujours sur les fesses, incapable de marcher[9]. Ces types d’enfants sont habituellement appelés en Afrique « enfants serpents ». Labolo était « un enfant serpent ». On peut soupçonner les conséquences d’une variété d’encéphalopathie qui le handicapent en le rendant inapte à la marche. On le soupçonne aussi de voler nuitamment le lait de sa mère à sept ans9. Est-ce un problème de malnutrition qui le pousse au vol du lait maternel. Peut-être que l’enfant développe le kwashiorkor ? D’ailleurs c’est ce défaut, inventé probablement pour le perdre qui le fera condamner comme victime du sacrifice humain.

Les mauvaises langues se hâtèrent de coller la mauvaise caractéristique « d’enfant serpent » au pauvre enfant. Pour effrayer sa mère et la conduire vers la solution euthanasique on lui racontait des histoires abracadabrantes. Selon ces méchantes mégères, l’enfant déjà sevré à sept ans par exemple, la nuit, pouvait se transformer en serpent pour téter. Si par malheur, la mère se réveillait et surprenait l’enfant voleur de lait, sa mort devient irrémédiable.

Les souffrances de la mère pendant les sept ans de maladie étaient insupportables. Aucune amélioration ne se manifestait chez l’enfant. Pour Labolo la perspective de la mort euthanasique devenait de plus en plus inévitable.

C’est quand même la mort dans l’âme que la mère de Labolo remit son enfant, à son oncle pour l’amener chez le guérisseur. Ce dernier se rendit au bord d’un antre où habitait un gros serpent boa. L’oncle de l’enfant était déjà informé de la procédure médicale.

Le guérisseur lui a expliqué que s’il s’agit d’un vrai « enfant serpent » il se transformera en serpent pour disparaître dans l’antre du boa. Dans le cas contraire, l’enfant sera retrouvé et ramené aux parents. Au bout d’un moment, le guérisseur revint avec Labolo, il n’était pas selon le guérisseur « un enfant serpent ».

Le serpent euthanasique se rencontre couramment en Afrique occidentale, les cas du nord de la Côte-d’Ivoire sont souvent évoqués. Les guérisseurs domestiquent ces reptiles avaleurs d’enfants uniquement pour la fonction de fin de vie des enfants sacrifiés. On sait que le serpent se nourrit rarement. Une bonne proie peut lui servir comme un repas de plusieurs mois. Dans l’année quelques proies suffisent pour sa nourriture.  Le boa affamé est attiré par les cris de l’enfant abandonné à l’entrée de son antre. C’est au pas de course qu’il sort pour happer la victime et la dévorer. Après on raconte aux parents que l’enfant s’est transformé en serpent pour disparaître. Parfois le boa n’est pas à l’intérieur de l’antre. Il peut y être mais n’a pas faim et les cris de la victime le rendent indifférent. Heureusement ce fut le cas de Labolo que l’indifférence ou l’absence sauva.

Le simple dévoilement est insuffisant pour changer les coutumes rétrogrades africaines. La critique acerbe est souvent nécessaire pour changer ces plaies de la société qui handicapent son développement. Dans La Princesse de Konkoliba le crime n’aura pas lieu. Labolo est sauvé, ce qui est un espoir d’abandon de la coutume euthanasique.

2. LA FONCTION JUDICIAIRE

Le Monde s’effondre est un roman où on trouve la fonction judiciaire du sacrifice humain. On peut dire qu’en Afrique c’est le grand roman de la paix parce qu’il enseigne cette vertu qui est une valeur humaine partout dans le monde. Dès l’incipit du roman, le narrateur annonce le futur sacrifice du jeune Ikemefuna. Dans ce récit, l’enseignement de la paix est permanent à travers les cas de transgression des lois qui défendent la paix. C’est Okonkwo qui est au centre des transgressions. Une première fois il a transgressé l’interdit qui n’autorise pas la dispute pendant la semaine de la paix en rossant proprement une de ses épouses. À coup de lourdes amendes, la transgression fut réparée.

La deuxième transgression grave fut la mort d’un jeune de dix-huit (18) ans qu’Okonkwo abattit accidentellement. Le transgresseur fut immédiatement chassé du village. On pilla ses biens puis brûla sa cour. Il ne revint à Umefua qu’après un exil de sept (07) ans dans le village de sa mère. Enfin la dernière transgression d’Okonkwo fut la mort du héraut du commandant blanc. Celui-ci avait été envoyé à la tête d’un groupe de négociateur auprès des habitants d’Umefua pour résoudre un conflit. Le chef des négociateurs n’aura pas le temps d’ouvrir la bouche, Okonkwo fit tomber sa tête par un coup de machette. Tout le monde reprouva son geste car à Umefua ce n’est pas par la violence qu’on résout les conflits, mais par les négociations.  C’est Okonkwo lui-même qui trouva la solution : il se suicida pour laisser force à la loi.

Le sacrifice humain annoncé dans l’incipit du roman était une préparation à cette sentence finale du roman : à Umefua, la déclaration de guerre est un acte si grave qu’elle ne se prend jamais unilatéralement. Okonkwo en transgressant cette loi l’a payé de sa vie en se suicidant. Le sacrifice d’Ikemefuna est lié à un acte de violence. Une habitante d’Umofua a été assassinée à Nbaino, communauté plus petite et plus faible dont la puissance militaire n’avait aucune mesure avec celle de son puissant voisin d’Umefua. Les jeunes d’Umefua trépignaient de l’impatience pour aller écraser les gens de Nbaino. Ils criaient d’une seule voix la vengeance ! Les Sages d’Umefua qui connaissaient les lois s’opposèrent à la fougue de la jeunesse. Ils demandèrent l’instauration d’un dialogue avec les habitants de Nbaino à qui on présenta deux exigences pour éviter la guerre. Umefua demanda à Nbaino une jeune fille vierge pour remplacer la défunte victime auprès de son mari devenu brutalement veuf. La deuxième exigence concernait un enfant à sacrifier aux mânes des ancêtres en réparation du crime de l’enfant que portait la malheureuse femme assassinée. Les habitants de Nbaino exécutèrent rapidement ces exigences. Le sacrifice humain devrait être exécuté plus tard par la décision des devins. En attendant, Ikemefuna, la victime choisie, fut confié à Okonkwo qui l’éduqua comme son propre fils. Devenu grand, on exécuta Ikemefuna comme prévu, en le sacrifiant aux mânes des ancêtres.
 

Chez les Ibo, on l’a dit plus haut, les conflits sociaux sont habituellement résolus par le dialogue. La guerre n’est qu’une exception, lorsque le dialogue échoue. Il ne viendra à l’esprit de personne de prendre unilatéralement comme l’a fait Okonkwo une décision aussi grave. Quelle que infime soit-elle, la guerre engendre toujours chez les belligérants des pertes regrettables. Okonkwo ne l’a pas compris en faisant tout seul, la déclaration de guerre par l’assassinat du chef des hérauts envoyés par le commandant blanc.

Le jugement des habitants d’Umofua fut leur désaveu qui obligea Okonkwo à se suicider. Pour l’assassinat de la ressortissante d’Umofua, les gens de Nbaino qui connaissaient les vertus du dialogue et de la paix se plièrent aux exigences de leurs voisins. Ils évitèrent ainsi la guerre où à coup sûr, ils sortiraient vaincus et lamentablement humiliés par les puissants guerriers d’Umofua.

Les écrivains anglophones ont toujours critiqué avec véhémence les coutumes désuètes qui ne peuvent plus s’adapter aux réalités africaines. Le prix Nobel africain de littérature n’est pas seul dans ce combat littéraire, Chinua Achebe fait partie aussi des écrivains iconoclastes décidés à faire disparaître les soit prétendus génies et autres ancêtres assoiffés de sang humain.  Dévoiler le crime est insuffisant pour Chinua Achebe pour son combat. Révéler l’injustice faite à Ikemefuna est un devoir militant pour l’auteur. À l’époque de l’assassinat de la femme d’Umefua, Ikemefuna n’était qu’un enfant. Il ne pouvait pas être un acteur de ce crime. Comme dans Un sang fort de Wole Soyinka le choix de la victime est arbitraire et injuste. Même ceux qui disent œil pour œil, dent pour dent, tiennent compte de la responsabilité de l’auteur du crime pour le punir. Les Ibo semblent sourds à cette justice individuelle. La justice sociale qui punit les innocents comme Ikemefuna est arbitraire. Le pauvre enfant a payé un crime qu’il n’a pas commis. Le désaveu de Chinua Achebe est clair. Par sa critique, il espère une justice plus responsable qui épargnerait les innocents.

  1. LA FONCTION ECONOMIQUE

La caractérisation économique du sacrifice humain étonne plus d’une personne qui l’apprend. Mais l’exemple de la politique de l’enfant unique obligatoire en Chine est un argument de cette fonction. Effectivement contraindre les Chinois à n’avoir qu’un seul enfant par couple est une mesure pour éviter le surpeuplement du pays ce qui engendrerait la famine. La dénonciation de Joseph Béogo dans Dieudonné ou l’enfant miraculé9 fait penser à la loi chinoise qui interdit plus d’un enfant par couple. Dans les deux cas, il s’agit d’une motivation économique qui est à l’origine de ces lois.

Dans cette nouvelle, l’exécrable loi demande aux parents d’enterrer à leur naissance leurs jumeaux vivants. C’est ce qui est arrivé aux nouveaux nés de Nsow qui ont été abandonnés en pleine brousse sur une termitière. Dieudonné fut miraculeusement sauvé par un prêtre mais ses deux frères avec qui ils formaient un triplé moururent. Vingt-sept (27) ans plus tard, devenu médecin l’enfant miraculé écrit à sa mère pour lui raconter son histoire pour être reconnu.

Pour éviter les graves conséquences du surpeuplement, les Chinois ont imposé l’enfant unique par couple. Probablement la disette ou carrément une famine a contraint un moment donné les Mosse au Burkina Faso à ne pas tolérer plus qu’un enfant par accouchement. Les jumeaux devenaient ainsi une menace économique pour la survie du groupe.

La famine est déjà un grand danger que les nouvelles bouches à nourrir viendraient aggraver. Les jumeaux ou les triplés comme dans le cas de Dieudonné sont des seuils intolérables. La coutume exige qu’on enterre les indésirables sous la fallacieuse allégation qui les considère comme des « génies » ou « kinkirissi » en moore. C’est ce qui s’est passé plus haut pour les encéphalopathes, les albinos et « les enfants serpents ». Seules les motivations changent : au lieu de maladies, le cas de Dieudonné semble lié à l’économie.

La nouvelle de Béogo date de 2002. On est loin, même très loin de l’époque où la Négritude aimait caresser l’Afrique dans le sens du poil à travers des paroles dithyrambiques. L’intention de ce nouvelliste est claire : il demande la suppression pure et simple de la coutume exécrable. Au lieu de tuer les jumeaux, on peut en faire des médecins comme Dieudonné. La famine qui est probablement à l’origine de cette coutume n’existe plus. Mais on a encore du mal à enrayer complètement l’abominable coutume qui sacrifie les jumeaux.

Trois fonctions sont cernées à travers les cinq œuvres consacrées au sacrifice humain : les fonctions euthanasique, judiciaire et économique. La fonction euthanasique qu’on retrouve dans trois œuvres paraît la plus courante. Trois victimes ont été choisies pour être sacrifiées à cause de leur infirmité : un encéphalopathe, « un enfant serpent » ou génie, enfant incapable de marcher jusqu’à sept(07) ans et les albinos repoussants chez les Bwaba. Habituellement les victimes portent des infirmités qui les empêchent de se prendre en charge. L’euthanasie apparaît non pas seulement comme un soulagement du malade mais aussi celui de la société qui doit assurer sa subsistance. Mais l’interrogation pour les victimes demeure : où se trouve leur responsabilité pour mériter un tel triste sort ?

Idafa dans Un sang fort est un faible d’esprit qui n’est au courant de rien dans la société. Comment peut-il sauver cette société ? Pourquoi ne pas choisir un volontaire comme l’a fait Emma pour purifier la société. Il en est de même pour « l’enfant serpent » où tout le monde sait qu’il n’est ni serpent, ni génie. Pourquoi choisir de le sacrifier. Heureusement pour Labolo dans La Princesse de Konkoliba son destin l’a sauvé. Le serpent avaleur d’enfants n’est pas venu pour l’avaler. Plus tard, il devint un grand cadre de l’Etat puis un grand artiste sculpteur.

Si les albinos portent parfois des plaies puantes, ce n’est pas de leur faute. Habituellement on dit que le malade n’a pas acheté son mal au marché. Il est donc injuste de les sacrifier au Bwamu parce qu’ils ne sont pas responsables de leur maladie. C’est le même reproche pour la fonction judicaire où l’innocent Ikemefuna n’a pas mérité d’avoir le crâne fracassé par une machette pour un crime qu’il n’a pas commis.

Enfin, on peut comprendre le souci économique des faiseurs de lois chez les Mosse, mais au lieu d’enterrer les jumeaux vivants, d’autres solutions auraient pu être envisagées. Les grandes famines en Afrique appartiennent aujourd’hui au passé lointain. Mais pourquoi a-t-on toujours du mal à enrayer complètement la coutume honteuse ? Les jumeaux sont loin d’être des génies dangereux ou « kinkirissi ». Comme Dieudonné le médecin, les jumeaux deviennent plus tard comme les autres enfants de grands cadres pour le développement de l’Afrique. Pr GO Issou.

 

Tag(s) : #Critique littéraire, #Société
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