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REPENSER LE DÉVELOPPEMENT EN AFRIQUE : PLAIDOYER POUR UNE APPROCHE HOLISTIQUE II
REPENSER LE DÉVELOPPEMENT EN AFRIQUE : PLAIDOYER POUR UNE APPROCHE HOLISTIQUE II
REPENSER LE DÉVELOPPEMENT EN AFRIQUE : PLAIDOYER POUR UNE APPROCHE HOLISTIQUE II

II-Les options de développement en Afrique au début des indépendances, l’évidence empirique et fondements théoriques

  1. Les options de développement en Afrique et l’évidence empirique  

Après les indépendances dans les années 60, les pays africains ont opté pour trois grandes voies de développement que sont : la voie libérale de transition au capitalisme, la voie autocentrée de transition au socialisme et la voie africaine du socialisme[1].

La voie libérale de transition au capitalisme : cette voie que l’on peut caractériser de libéralisme planifié visait à créer une économie fondée sur les mécanismes du marché afin de faciliter l’éclosion du capitalisme. Les interventions de l’Etat devraient jouer un rôle prééminent dans ce processus transitionnel (Ex la Côte-d’Ivoire). Cette voie a pour fondement théorique le libéralisme

La voie autocentrée de transition au socialisme : cette voie dont l’objectif visait une politique de l’indépendance économique était fondée sur un processus de contrôle de l’économie par l’Etat comme le suggère la théorie socialiste (l’Algérie, la Guinée Conakry, le Mali… et l’Angola plus-tard, etc.). Le fondement théorique de cette option reste le marxisme-léninisme.

La voie africaine du socialisme : cette voie dérive de la théorie du socialisme africain prônée par les théoriciens comme Julius Nyerere et Léopold Sédar Senghor. Pour ces auteurs il fallait bâtir une économie africaine socialiste tout en capitalisant les valeurs spirituelles, morales et socio-culturelles du continent

  1. Les options de développement en Afrique et l’évidence empirique

Malgré les options de développement divergentes clairement affichées par les pays africains au début des indépendances, l’évidence empirique montre qu’ils ont tous accordé un rôle prépondérant à l’Etat dans la mise en œuvre de leur décollage économique. Comme le notent Jacquemot et al (1993) : « Les interventions de l’Etat apparaissaient comme le vecteur du « décollage » économique. Confirmé au plan théorique par l’influence des thèses keynésiennes, le rôle prééminent de l’Etat relevait partout de l’évidente nécessité ».[2]  

À titre illustratif, le Country Economic Report de la Banque mondiale[3] relevait en 1980 qu’au Mali à régime socialiste, plus de 90% des ressources budgétaires étaient allouées à la fonction publique et aux étudiants alors qu’en Côte-d’Ivoire pays à orientation libérale, 2/3 des opérations en capital étaient le fait des entreprises publiques en 1977.

III- Les fondements théoriques des options de développement et leurs limites

  1. L’option libérale du développement

Le libéralisme économique considère que dès lors que certaines libertés économiques sont garanties (propriété privée, libre circulation, liberté du travail et d’entreprendre etc.)[4], les intérêts individuels constituent les meilleurs serviteurs de l’intérêt collectif. À ce propos, Adam Smith fait remarquer que l’égoïsme individuel est un facteur de motivation puissant en ce sens que : « L’ambition court dans les veines de millions de gens qui, sous d’autres régimes, seraient passifs ou moroses. Ces individus se fixent des buts… tandis que l’aristocrate frémit d’horreur à la pensée de devoir exercer un effort patient de manière continue et prolongée … »[5]. Pour les théoriciens du libéralisme c’est le marché qui constitue donc le mode d’allocation des ressources le plus efficace et le plus efficient.

La force de l’économie de marché est qu’elle permet aux individus dans la poursuite de leurs intérêts privés de contribuer sans le vouloir (conséquences inintentionnelles ) à l’atteinte  de l’optimum collectif (le producteur ne peut maximiser son profit que si son activité productive vise à satisfaire au mieux les besoins la collectivité).  Il y est poussé par ce qu’Adam Smith, appelle la main invisible et que l’on peut assimiler aux mécanismes autorégulateurs du marché.

Par opposition à Adam Smith, Karl Marx fut, parmi les premiers, le plus virulent des critiques du système capitaliste qu’il a appelé mode de production capitaliste. Pour lui, la dynamique du capitalisme repose sur « un individualisme exacerbé, une concurrence impitoyable, un matérialisme à outrance.»[6] L’humanisme apparent de ce système social : « est au mieux un sous-produit accidentel et peu certain, alors qu’il devrait être à la base de toute activité, qu’elle soit économique ou non.»[7]

À la main invisible censée harmoniser les intérêts individuels, Marx met en exergue le clivage profond entre les deux classes fondamentales de la société de son époque que sont la classe ouvrière et la classe capitaliste aux intérêts diamétralement opposés. Étant donné que le mode de production capitaliste est basé sur une logique d’accumulation, il reste condamné à terme en raison des conflits sociaux récurrents qu’il génère. Au regard de l’histoire du capitalisme, la question que l’on peut se poser de nos jours est celle-ci : Marx est-il toujours d’actualité ?

Oui parce que :

- Son analyse des crises reste pertinente du point de vue de la suraccumulation du capital à l’échelle mondiale due à un désajustement entre la sphère réelle et la sphère monétaire et financière de l’économie

- La mondialisation a accru les inégalités sociales intra- nations et inter-nations.

Non parce que :

Le système capitaliste a survécu à ses contradictions internes jusque- là au prix de quelques ajustements.

 Au-delà de la critique de Marx, c’est plutôt, la vision matérialiste qui sous- tend le projet existentiel libéral qui constitue une contrainte majeure pour le système d’exploitation durable des ressources naturelles. Une telle vision matérialiste qui est fondée sur l’avoir et non sur l’être, accorde une importance excessive au bien- être matériel. Les conséquences idéologiques, économiques et sociales négatives de la mise en œuvre d’une telle conception existentielle réductionniste[8] sont brossées par Ody Marc Duclos en ces termes : « L’être humain a fini par diviniser l’économie de marché. Il s’incline avec dévotion devant la « loi » suprême du « marché », le considérant comme la source ultime de toute « valeur », de toute « grandeur ». Il glorifie le Produit national Brut (PNB) et bénit le taux de croissance. A quoi bon, si c’est pour polluer plus, détruire l’environnement nature[9]l et conduire à la déchéance de l’être humain !

Le paradoxe du début du 21e siècle est : « la misère dans l’abondance ». Jamais auparavant aucune société humaine n’a disposé d’une telle somme de moyens, d’autant de matières premières. Au fur et à mesure du développement économique, l’état du monde de la qualité de vie périclite…. Le vrai problème est de savoir comment nous pouvons mettre l’économie au service de la vie. Comment l’homme peut-il devenir l’intendant de la terre en assurant à ses semblables une vie digne et libérée de tout conflit ?»[10].

Pour les marxistes, les crises économiques ne font que rapprocher le système capitaliste de sa fin. Toutefois, L’histoire du capitalisme montre que les crises économiques lui ont permis de se revigorer et partant  lui procurer une certaine pérennité comme cela a été le cas jusqu’à maintenant. De plus, on peut relever que du point de vue de la dialectique taoïste, les contradictions d’un système peuvent l’amener à muter sans provoquer son implosion.

Bien que la contradiction du capital-travail reste à l’ordre du jour à l’échelle mondiale, c’est plutôt la contradiction capital-environnement qui fait apparaître la véritable fragilité du système capitaliste en tant que mode de gestion durable des ressources de la planète. En effet parmi les nombreux problèmes économiques et sociaux générés par la mondialisation qui vont en s’amplifiant et qui constituent de véritables menaces de l’humanité, on peut citer la course à la rentabilité absolue, la grande agriculture polluante, le réchauffement de la planète dû à l’effet de serre, la surexploitation des forêts, les pertes irréversibles de biodiversité, les réductions drastiques des stocks d’eau, la désertification et l’érosion  etc. qui menacent l’intégrité des écosystèmes et partant la base productive de l’humanité .

Au total, le mode de production capitaliste permet certes de créer de la croissance mais cela reste associé à des coûts sociaux et environnementaux très élevés qui constituent de nos jours des graves menaces pour l’humanité.

b- Les options socialistes du développement

Dans le système socialiste marxiste-léniniste, l’économie n’est plus régie par les forces du marché mais est plutôt contrôlée par un organe central de planification. En d’autres termes le   plan reste le mode d’allocation des ressources de l’économie socialiste. Elle a été initiée lors de la révolution d’octobre 1917 en URSS et par la suite s’est étendue au niveau des autres pays du bloc socialiste.

Toutefois, les économies centralisées se sont révélées dans leur fonctionnement dynamique, incapables à assurer une coordination efficace et efficiente de l’activité économique. Cette situation a conduit à une économie socialiste de pénurie. De nombreux auteurs  [11] ont analysé ce phénomène en montrant que les systèmes socialistes dans leur fonctionnement sont contraints par les ressources et partant se caractérisent par des pénuries chroniques sur les différents marchés conséquence de la loi de Walras[12] .

La conséquence ultime de cette inefficacité allocative des ressources rares a été l’effondrement général du bloc socialiste à partir de la fin de 1989 laissant le champ libre à l’idéologie capitaliste et partant à la mondialisation[13]. Une autre des limites de l’idéologie socialiste marxiste réside dans son fondement athée et matérialiste mutilant ainsi l’essence  de l’homme qui est d’ordre spirituel.

Quant au socialisme africain, il s’est inscrit dans un processus endogène de réflexion sur le développement. À ce propos Senghor note : « Nous sommes pour une voie moyenne, pour un socialisme démocratique… une troisième révolution est en train de se faire en réaction contre le matérialisme capitaliste »[14] Pour Senghor, la finalité du socialisme  africain  sera  l’accumulation de valeurs socio-culturelles, de richesses spirituelles  et non  de richesses matérielles comme c’est le cas dans les sociétés communistes ou capitalistiques. Pour les théoriciens du socialisme africain, les valeurs issues des traditions africaines (la sagesse, la solidarité, le partage, l’esprit communautaire etc.) doivent constituer le soubassement idéologique et culturel de ce type de socialisme. Dr Kassoum ZERBO.


[1] Cf.  Makhtar Diouf (1991), Economie Politique pour l’Afrique, Éditions N.E.A.S. /AUPELF, pp. 279-283.

[2] P. Jacquemot, et al (1993), La Nouvelle Politique économique en Afrique, EDICEF/AUPELF, p.15.

[3] Op. cit., p. 25

[4]  Voir Deleplace, D. et al (2008), Histoire de la pensée économique, Éditions Dunod.

[5] Adam Smith cité par Alexander Bergman, « Éthique et Gestion » in Encyclopédie de gestion, p.1245.

[6] Alexander Bergman, op. cit. ; p.1245.

[7] Op.cit., p.1245

[8] « Le réductionnisme consiste à réduire systématiquement un domaine de connaissance à un autre plus particulier considéré comme plus fondamental », Annie Vallée (2002), Economie de l’environnement, Éditions du Seuil, 2002, p.15.

[9] Une étude réalisée par Floris van der Pol en zone cotonnière au Mali en 1990 (citée par Etienne Verhaengen) intitulée : L’Épuisement des terres, source de revenus pour les paysans au Mali-Sud a montré que la moitié des revenus des producteurs cotonniers est obtenue par épuisement des sols.

[10] Ody-Marc Duclos « L’Économie Spirituelle », Conférence prononcée le 19 avril 2008 au Centre international du commerce extérieur du Sénégal de Dakar.

[11]  Cf. Histoire des pensées économiques, Collection dirigée par Gélédan, Éditions Sirey.

[12] La loi de Walras stipule que lorsqu’il y a l’équilibre sur n-1 marchés, il y a équilibre sur le nième marché. Cette loi met en évidence l’interdépendance des marchés. Par conséquent, le déséquilibre sur un marché entraine un déséquilibre sur les autres marchés.

[13] La mondialisation peut être définie comme l’extension du capitalisme ou la globalisation des échanges à l’échelle planétaire.

[14]  Maktar Diouf, op.cit., p. 281.

[15] Koné Moussa et al (2014), «Évolution de la couverture forestière de la Côte- d’Ivoire des années 60 au début du 21e   Siècle », in International Journal of Innovation and Applied Studies, Vol 7, N°2 2014 pp. 782-794.

[16] Selon P. Jacquemot et al (1993), « La signature de l’accord entre le FMI et la Tanzanie en octobre 1985 marque certainement un tournant pour l’Afrique : c’est l’acte de décès de la déclaration d’Arusha et du plan d’action de Lagos qui est signé ce jour-là et avec lui, l’enterrement de la « voie africaine du socialisme. »,  p.28.

[17] P. Jacquemot et al (1993), op.cit. , p.45.

Tag(s) : #Société, #Actualité
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