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DES MOTS POUR DENONCER DES MAUX
DES MOTS POUR DENONCER DES MAUX

Au sein de la littérature burkinabè écrite d’expression française qui prend lentement mais sûrement son envol, plus que toute autre catégorie générique, la nouvelle connaît un essor extraordinaire du fait des maisons d’édition mais aussi et surtout par le biais des concours littéraires et des journaux qui lui servent également de support de publication. Genre narratif plus ou moins court, à mi-chemin entre le conte et le roman, à l’instar du point-virgule entre le point et la virgule, l’art de la nouvelle intrigue et fascine effectivement par son esthétique particulière.

De ce point de vue, ils sont rares, voire rarissimes, les écrivains burkinabè qu’ils soient romanciers, poètes ou dramaturges (Roger Nikiéma, Jacques Prosper Bazié, Pierre Claver Ilboudo, Ansomwin Hien Ignace, Samuel Millogo, Dramane Konaté, Stanislas Drabo, Monique Ilboudo, Bernadette Dao, Marie-Bernadette Tiendrébéogo, Sophie Heidi Kam, etc.) qui n’ont pas dans leur bibliographie au moins une ou deux nouvelles. Cela en dehors, bien entendu, de leur genre de prédilection ou de celui qui les ont révélés au grand public. C’est le cas justement de leur épigone, Jérôme Ouoba, romancier d’abord (Une vie dissolue), ensuite nouvelliste (L’Incivisme n’est pas la solution).

Au Burkina Faso, les travaux les plus récents sur la nouvelle (Go, 2016) révèlent qu’elle est parcourue par trois courants majeurs. Il s’agit du courant traditionnaliste, du courant magique et de celui des plaies sociales qui traite des paradoxes, des drames, des conflits mais aussi de la violence de la société contemporaine ; violence, en tout genre, à l’endroit des plus faibles de la société, notamment les femmes et les enfants.

Mais sous ce prisme, les récits du natif de Tibga, dans la province du Gourma, sont à inscrire dans le courant des nouvelles de la satire sociale. Et pour cause ! Une femme décide, au nom de ses intérêts purement personnels, de marier sa fille à l’insu de son mari. Le pot aux roses est découvert... N’en pouvant plus d’attendre leur nuit de noces, Barthélémy, alias Bartho, endort sa fiancée, Évé au moyen d’un somnifère et abuse d’elle !

Olivier, un jeune homme pauvre convole en justes noces avec Olive, une vielle femme fortunée. Devenu riche, il la quitte sans autre forme de procès. Un curé charismatique enceinte une jeune dévote, qui contrairement à ses camarades refuse l’omerta, et relance le sempiternel débat sur le célibat des prêtres.

Un instituteur pour fuir le mépris dont est l’objet son corps de métier et paraître important se fait passer pour ce qu’il n’est pas…

Ce sont là justement cinq plaies (cupidité, inconséquence, opportunisme, luxure et disparité salariale), cinq tares des sociétés contemporaines que mettent non seulement en exergue mais aussi et surtout dénoncent les intrigues des cinq récits du Fils de l’autre que sont respectivement : « Les Noces n’eurent pas lieu », « Barthélémy ou le renégat », « Le Fils de l’autre », « Le Défroqué » et « Isso, le petit Yaadega ».

Avec L’Incivisme n’est pas la solution et Une vie dissolue qu’il prolonge dans bien des aspects, le présent recueil inscrit la pratique scripturaire de l’auteur au service d’une cause, la justice sociale.  Dans ce sens, c’est peu dire que chez Ouoba, le texte à effet de fiction se révèle d’abord et avant tout comme une « arme de conscientisation massive » dont il use pour « tirer » (ça tire/ satire) là où cela fait mal, très mal dans l’espoir d’une prise de conscience à la fois individuelle et collective. Parfois, écrivait avec juste raison Sembène (1966 : 5), pour saisir le tout d’une époque il est bon de se pénétrer de certaines choses, faits, conduites. Car ceux-ci nous aident à descendre dans l’HOMME, dans sa chute, et nous permettent de mesurer l’étendue du ravage.

Toucher le cœur du lecteur (sa sensibilité) pour atteindre sa tête (sa raison), telle est la belle astuce de l’homme de lettres. En effet, dans un style fleuri, qui est le sien, fait d’emphase, de mots fort recherchés, parfois même savants, l’auteur s’interroge et amène le lecteur à s’interroger avec lui sur la condition humaine à travers les maux qui minent les sociétés contemporaines. Écrire, dans ce registre-là, c’est déjà agir !  

   Adamou KANTAGBA

Tag(s) : #Critique littéraire, #Création littéraire
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