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Norbert Zongo, Ahmadou Kourouma, Hamapté Bâ, Camara Laye, Yambo Ouologuem, Ken Saro-Wiwa
Norbert Zongo, Ahmadou Kourouma, Hamapté Bâ, Camara Laye, Yambo Ouologuem, Ken Saro-Wiwa
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Norbert Zongo, Ahmadou Kourouma, Hamapté Bâ, Camara Laye, Yambo Ouologuem, Ken Saro-Wiwa

Norbert Zongo, Ahmadou Kourouma, Hamapté Bâ, Camara Laye, Yambo Ouologuem, Ken Saro-Wiwa

Je vous propose, en deux temps, un article de mon maître, le Pr Issou GO, sur le destin tragique des écrivains du continent.Vous pourrrez aussi retrouver l'article dans le dernier numéro des cahiers du CERLESH. L'engagement a un prix, ou le prix de l'engagement, tel pourrait aussi être le titre de cet article. Lisez plutôt !

Première partie

On est bien loin aujourd’hui de l’euphorie de l’époque de la Négritude où l’évocation des noms d’écrivains africains créait un état d’esprit d’allégresse, d’exaltation et de fierté aussi bien chez les Africains que les Européens. Les Français les montraient fièrement comme un succès de la colonisation qui a permis de ‘’blanchir’’ des Noirs pour en faire des écrivains de talent, mondialement reconnus. Michel Hausser[1] reconnaît que la publication en 1949 de L’Anthologie de la poésie nègre et malgache de Léopold Sédar Senghor[2]avec la préface de Jean Paul Sartre, fut l’événement littéraire le plus important du 20e siècle en France.

Depuis les indépendances africaines jusqu’à nos jours, l’euphorie s’est transformée en malaise profond. La littérature africaine est rongée par une dysphorie généralisée réservant des sorts terribles aux écrivains qui finissent le plus souvent au bout d’une corde, pendus, parfois noyés dans une barrique d’acide ou flingués à bout portant par des tueurs à gage. Fily Dabo Sissoko, Norbert Zongo, Ken Saro-Wiwa sont des exemples que nous examinerons plus loin. Souvent la méthode d’élimination des écrivains est plus subtile et plus insidieuse.  Ceux-ci passent de vie à trépas sans rien comprendre à leur sort. Alors ce sont la virulence des poisons des plus méchants sorciers, l’atrocité de la persécution qui leur font passer l’arme à gauche.

Les crises qui tuent les écrivains constituent une gangrène qui menace perpétuellement l’éclosion de la littérature africaine. La conséquence de ces assassinats freine l’envol de la littérature africaine et le déclin de sa partie révolutionnaire devient de plus en plus inquiétant.

Voilà en quelques mots la problématique de la réflexion sur le sort dramatique des écrivains africains que nous nous proposons d’analyser en puisant des exemples dans l’histoire littéraire récente du contient. Évidemment, il faudrait des livres et des livres pour faire le point des violences exercées contre les écrivains africains. Dans notre propos énumératif nous nous contenterons de quelques cas pour illustrer nos analyses.

Pour parler de l’histoire littéraire africaine, il ne faut pas ignorer des œuvres comme Les Écrivains noirs de langue française : naissance d’une littérature de Lylian Kesteloot[3], Littérature et développement de Bernard Mouralis[4], Introduction à l’étude du roman africain de Jean Pierre Makouta MBoukou[5] pour ne citer que ceux-là. Mais nous allons nous fonder surtout sur le livre de Michel Hausser écrit en collaboration avec Martine Mathieu intitulé Littératures francophones III Afrique noire, Océan Indien. M. Hausser a d’abord enseigné à l’Université de Brazzaville au Congo, avant de devenir Professeur émérite à l’Université Michel Montaigne de Bordeaux III.

Son analyse diachronique commence en 1935 avec la poésie de la Négritude, la naissance du genre narratif est située autour des années 1950, et pour lui le théâtre africain a poussé sur deux racines : une racine populaire qui date de l’époque précoloniale et une racine scolaire liée à l’école de William Ponty et de Bingerville vers 1930.    

Avant d’évoquer les violences post-Négritude, nous parlerons d’abord des persécutions subies par les écrivains à l’époque pré-Négritude. La dernière partie sera consacrée à une explication des sources des violences qui ont entraîné un déclin littéraire.

I- LA CHASSE AUX ECRIVAINS AFRICAINS

  1. LES PERSÉCUTIONS DE L’EPOQUE PRÉ-NÉGRITUDE

Partout dans le monde, le métier d’écrivain a toujours comporté des risques qui ont causé des torts parfois très graves aux auteurs d’œuvres littéraires. Les procès en justice ressemblent à de simples caresses comparativement à d’autres torts plus graves. Les exemples sont légion en France : Voltaire a plusieurs fois essuyé la foudre de ses ennemis qui se sont acharnés contre lui, même après sa mort. La persécution de Rousseau lui a fait piquer la paranoïa.

La littérature africaine est un héritage colonial dont les racines proviennent d’Occident. Comme leurs confrères européens, les écrivains africains subiront la foudre de leurs ennemis par rapport à leur prise de position politique, idéologique…

Le livre de Lylian Kesteloot sur la naissance de la littérature négro-africaine en 1963 est un document de référence pour l’histoire littéraire africaine. Paris qu’elle considère comme le berceau de cette littérature africaine peut être considéré comme la porte à côté de la Belgique, son pays d’origine. Mais cette assertion n’est pas juste. La critique belge ignorait probablement ce qui se passait sur le plan littéraire au niveau du continent noir. Même Senghor le chantre de la Négritude, reconnaissait qu’avant la naissance de la Négritude à Paris au bord de la Seine, existait déjà en Afrique une littérature que le poète-président qualifiait de « scientifique » et il appelait, ses auteurs envers qui il s’inclinait avec déférence, ses « frères aînés».

Cette littérature de la période pré-Négritude se situe entre les années 1920 et 1935. Selon Hausser[6] la Négritude est née en 1935 avec l’utilisation du mot « nègre » par Aimé Césaire mais la Négritude n’a pu être découverte par le grand public qu’après la fin de la Seconde Guerre Mondiale avec la publication de L’Anthologie de la poésie nègre et malgache en 1949. La littérature de la période pré-Négritude a eu des couronnements littéraires comme le premier Grand Prix Littéraire de l’AOF attribué aux Secrets des sorciers noirs (1934) et dont le retentissement a traversé les frontières du continent : il s’agit d’une littérature qui n’est pas née à Paris au bord de la Seine, mais au bord du Kadiogo à Bancoville ( le nom était celui que les colons avaient donné à Ouagadougou où toutes les maisons étaient en banco, même la résidence du gouverneur). À l’époque, Ouagadougou pour ne pas dire Bancoville, n’était pas une destination prisée et recherchée comme il est aujourd’hui, on y envoyait surtout les fonctionnaires récalcitrants comme Randau, anagramme d’Arnaud, Robert Arnaud de son vrai nom, Birago Diop, Amadou Hampâté Bâ, Fily Dabo Sissoko. C’était à partir des années 1920. Randau était un Franco-Algérien, né d’un père français et d’une mère kabyle d’Algérie.

Le livre de Jean Dejeux intitulé Littérature maghrébine de langue française, distingue dans son analyse diachronique, une littérature latine depuis le IXe avant Jésus Christ, une littérature arabe à partir du VIIe siècle, une littérature des Pieds noirs à partir de 1935-1945. La véritable littérature maghrébine commence selon lui en 1945.

Une place importante est accordée à Randau parmi les écrivains Pieds noirs. Albert Memmi en fait autant dans son anthologie : Écrivains francophones du Maghreb.

Jean Bogliolo[7] le classe comme le plus grand écrivain africain de son époque. Sur le site web de Wikipédia on parle d’une cinquantaine d’ouvrages publiés par lui, d’innombrables articles lui sont consacrés. On l’appelait au Maghreb, le « Rabelais africain[8] ». Il a créé en 1920 à Alger, la première école littéraire africaine où il revendiquait à la métropole, l’autonomie esthétique. Toujours selon Jean Dejeux, il déclarait à la même époque que la seule chose que l’Afrique demandait à la Métropole, c’était la langue. Il a certainement été victime de sa trop grande accointance avec les indigènes algériens. Pouvait-il en être autrement, lui dont les veines étaient remplies de sang algérien, le sang kabyle de sa mère ? De plus son autonomie esthétique reflétée probablement dans ses œuvres, était venue comme un tocsin sonné trop tôt.

C’était le tocsin de la liberté de ce qu’il appelait « sa partie algérienne ». Affecté à Bancoville (cette appellation se trouve dans ses œuvres consacrées à Ouagadougou) par punition, les coups bas à son endroit n’ont pas manqué.

Mais comme le dirait Chinua Achebe, Randau avait un « bon chi » c'est-à-dire un bon sort, un bon destin. L’adage populaire dira que son destin ressemblait à celui du crapaud qu’on a jeté loin, même très loin de la mare pour qu’il crève de faim.

Par bonheur, le crapaud alla tomber dans un grand cours d’eau rempli de victuailles il se régala, s’empiffra à satiété de la bonne nourriture. Bancoville fut pour Randau, ce cours d’eau providentiel où l’enfer ouagalais se transforma en paradis qui devint un des berceaux de la littérature africaine francophone.

Le cercle d’Africains, pour ne pas parler d’école littéraire comme celle qu’il a créée à Alger en 1920, qui l’entouraient, constitua le premier groupe d’écrivains vers les années 1920-1935.

Dim Delobsom est le premier Africain francophone, comme nous le disions précédemment, dont l’ouvrage intitulé les Secrets des sorciers noirs, fut couronné du Grand prix littéraire de l’AOF en 1934. En 1935, le même prix est revenu à un Sénégalais, Ousmane Socé pour son roman de mœurs, Karim.

Le premier écrivain récompensé sur le plan international a été le premier écrivain africain aussi à avoir été foudroyé par « son mauvais chi » qui sera le triste sort de beaucoup d’écrivains en Afrique. 40 jours après son intronisation comme chef de Sao, on le trouva un matin, raide mort à 42ans, avec une bouteille d’alcool à son chevet.

L’administration coloniale et les traditionnalistes s’accusèrent mutuellement.

Après son enterrement, son corps fut exhumé pour une autopsie. Les uns disaient que c’était le « nasara ram » l’alcool des Blancs qui l’avait tué, les autres répliquaient que c’était les sorciers dont il avait divulgué les secrets qui s’étaient vengés de lui. La mort de Dim Delobsom depuis 73 ans n’a jamais été élucidée. Ce qui est sûr, il s’agissait certainement d’un crime crapuleux et on n’a jamais su l’auteur de ce crime ni à qui il profitait.

C’est dans le même cercle littéraire qu’Amadou Hampâté Ba écrira la plupart de ces récits vers les années 1920 : l’Étrange Destin de Wangrin, Koumen, Amkoullel, l’enfant peul, Oui mon commandant ! mais c’est plus tard que la plupart de ces ouvrages seront publiés.

Selon Bintou Sanakoua[9] sa persécution a commencé bien avant son métier d’écrivain. Pour avoir sur les conseils de sa mère refusé de rejoindre William Ponty après son admission au concours des instituteurs, l’administration coloniale punit l’indiscipliné en l’affectant à Bancoville selon l’appellation de Randau dans ses écrits. Pour corser davantage la punition, le récalcitrant devait marcher plus de mille kilomètres de Bamako à Bancoville, pour rejoindre son poste d’affection. Malgré les nombreux problèmes et les persécutions diverses, il s’en tira à bon compte comme son maître Randau. Ses récits contiennent de nombreux témoignages sur celui-ci, surtout ses multiples combats contre le racisme ou à Bancoville, le Franco-Algérien apparaissait comme le protecteur des indigènes.[10]

C’est surtout après les indépendances, lorsque ses œuvres ont été connues du grand public que les persécutions se multiplièrent. Il a dû recourir à plusieurs solutions de protection. C’est dans ce sens qu’il faut percevoir son exil chez Houphouët Boigny. Même sa conversion à la franc-maçonnerie dont parle l’article de Sanakoua doit être une recherche de protection. Mais plus tard, il a demandé à quitter la ‘’confrérie’’ pour incompatibilité avec sa foi religieuse.

Le grand écrivain de Bandiagara, l’élève de Thierno Bocar a eu plus de chance que son ami Bancovillois, Dim Delobsom. Mais pour un sage comme Amadou Hampaté Ba, mourir en exil loin des siens équivaut à un assassinat. Effectivement la mort souhaitée par le sage, c’est celle qui se passe chez soi, entouré des parents et amis. Malheureusement Hampâté Bâ est mort en exil en Côte –D’Ivoire.

Parmi les élèves de Randau, c’est Fily Dabo Sissoko qui a eu le pire des sorts. Chinua Achebe dirait que son « chi était mauvais ».Comme les autres élèves de Randau, lui aussi est arrivé à Bancoville par punition.

Le récent livre de Modibo Halassi Sidibé donne beaucoup plus de détails sur sa vie.[11] Pendant sa formation à William Ponty, on trouva que l’élève instituteur était indiscipliné, c’est ce qui lui a valu la punition de Bancoville où il forgea sa plume d’écrivain. Plus tard, il fut affecté à Dori où il publia en 1934 son fameux livre La Savane rouge. Beaucoup d’autres publications suivirent aussi bien en roman qu’en théâtre et poésie. Ses publications scientifiques dans diverses revues sont nombreuses. On l’appelait alors le « Ghandi africain ».  À la mort de son père, chef de canton, il abandonna l’enseignement pour le remplacer. Ce fut le départ d’une fulgurante carrière politique qu’il conjuguait avec l’écriture littéraire. Son envergure politique était telle qu’à toutes les représentations de son pays au parlement comme dans le gouvernement français, il était toujours tête de liste. A la veille des indépendances, tout le monde s’attendait qu’il fût le premier président du Soudan français devenu aujourd’hui le Mali. La surprise fut totale : son parti, parti progressiste soudanais, fut battu à plates coutures. Le RDA que personne n’attendait à la victoire eut du mal à croire aux résultats. Pour une sortie honorable du champion perdant, le vainqueur proposa à Fily Dabo Sissoko un arrangement en lui refilant quelques députés. Il refusa puis balança dans l’opposition radicale. Comment cela a-t-il pu arriver ?  Un métis Franco-Soudanais du nom d’Arboussier, catapulté dare-dare de Dakar à Bamako, probablement pour son expertise en bourrage d’urnes et autres tripatouillages de listes électorales.

C’est au cours d’une marche de l’opposition dont il avait pris la tête contre la création du franc malien, que le « Ghandi africain » fut arrêté en 1963 et jeté en prison à Kidal. L’opinion malienne malgré le fait qu’on n’a pas vu son corps ni sa sépulture, pense qu’il a été noyé dans une barrique d’acide. Mais la version officielle dit qu’il est mort accidentellement. Son « chi » était mauvais, dirait l’écrivain Nigérian

Mais quel triste sort pour Fily Dabo Sissoko qui fut l’un des plus grands écrivains de son époque ! Birago Diop est arrivé de la même manière que les autres à Bancoville, mais un peu plus tard, Michel Hausser dit qu’il a eu au départ, des difficultés pour publier ses œuvres surtout ses contes qui ne faisaient pas partie des trois(3) genres canoniques de la littérature française

La vision coloniale considérait que l’Afrique n’avait pas d’histoire, elle n’avait pas de culture donc pas de civilisation Le conte africain ne pouvait donc pas intéresser les éditeurs. Senghor et présence Africaine ont dû aider l’écrivain sénégalais pour ses problèmes d’édition et le succès des œuvres a fait le reste.[12]

Deux faits sont frappants à travers l’évocation de ces écrivains de la première génération, celle de la période pré-Négritude : un terrible sort a frappé la plupart et un ostracisme injustifié pèse sur leurs œuvres. Pourtant leur principal combat demeure toujours d’actualité : l’Afrique doit garder sa personnalité littéraire, en recherchant son propre style. Tout ce qu’elle doit demander à la Métropole, c’est la langue, rien que la langue, disait leur maître Randau. Évidemment, c’était une position d’ethnologue non-conformiste, contraire à l’idéologie colonialiste.

  1. LES PERSECUTIONS DE LA PERIODE POST-NEGRITUDE

À part Amadou Hampâté Bâ qui a remanié L’Étrange Destin de Wangrin pour le publier 50 ans plus tard, ainsi que ses autres récits autobiographiques, ce fut le black-out total sur les autres productions de l’époque pré-Négritude. Dans l’histoire littéraire africaine francophone, on fait commencer le genre narratif vers les années 1950. Ce sont les romanciers de l’époque coloniale qui domineront la scène littéraire post Négritude.

L’un des plus prolixes fut Alexandre Biyidi, la persécution coloniale l’obligea à utiliser dans ses œuvres, des pseudonymes comme Mongo Béti, Eza Boto. Son exil en France et son mariage avec une Française devaient lui procurer une meilleure protection contre ceux qui persécutaient les écrivains anticolonialistes et anticléricaux comme Alexandre Biyidi. Mais après les indépendances africaines le combat littéraire de Biyidi changea de cibles. Ce sont les dictateurs africains qu’il prit pour point de mire. Les mêmes atouts d’hier lui servirent de remparts contre ses nouveaux ennemis.

Camara Laye est considéré comme le premier romancier africain francophone. Mais Alexandre Biyidi n’a pas du tout été tendre dans ses critiques contre son livre qu’il traitait de littérature rose pour enfants et de roman non engagé : pour lui la littérature africaine doit être engagée, en reflétant les préoccupations du peuple. Dans son livre Camara Laye a, pour l’écrivain camerounais, ignoré les exactions coloniales utilisées contre les Guinéens.

La première réaction de Camara Laye fut la publication de son roman intitulé Le regard du roi (1954). Alexandre Biyidi était bien servi : il n’y avait pas plus de complexité dans ses romans que dans ce deuxième roman de l’écrivain guinéen. D’ailleurs très peu de lecteurs arrivent à bien cerner le message du Guinéen dans ce roman à cause de sa trop grande complexité.

Camara Laye publia Dramous (1966) son troisième roman qui sonna le glas pour le pauvre homme. Ce livre est une critique acerbe du régime de Sékou Touré, alors que l’auteur était l’ambassadeur de la Guinée auprès du Ghana, et du Nigéria. Pour un livre engagé c’en était bien un ! Il n’eut même pas le temps de faire ses bagages. Il trouva asile auprès de Senghor après un rapide transite en Côte-D’ivoire. La persécution s’annonça longue et éprouvante. Tout s’accéléra lorsque sa femme dut se rendre urgemment à Conakry pour raison de famille, retenu de force comme un appât pour attirer son mari, Camara Laye ne pouvait rien pour sa femme. S’il rentrait en Guinée sa mort était certaine. Quelle souffrance atroce ! On n’est pas loin de la tragédie de Corneille ! Le virus de la persécution avait déjà déclenché un cancer. Quand on le sut, il était trop tard. Camara Laye mourut dans la plus haute des solitudes et dans un dégoût et une misère indescriptibles. Le dictateur avait réussi son coup, en ne laissant aucune trace de sa sale besogne !

Nazi Boni n’appartient pas aux deux époques comme les deux écrivains précédemment évoqués. Comme la génération de Bancoville, on peut dire que c’est la persécution qui l’a amené à la littérature. Lorsque Maurice Yaméogo, le premier président voltaïque imposa le parti unique dans son pays, Nazi Boni était contraint à exil auprès de son ami Léopold Sédar Senghor où il écrivit son livre. À la chute de la première république, Nazi Boni revint au bercail. Dans beaucoup de milieu, on murmurait son nom à l’époque comme futur président du pays, il résidait à Bobo-Dioulasso. De retour de Ouagadougouou l’écrivain venait de présider une réunion littéraire, son véhicule se fracassa contre un arbre en bordure de la route. Sa mort restera jusqu’à nos jours, non élucidée.

Pourtant son roman semblait être une belle continuation du combat des écrivains de Bancoville : sauvegarder la personnalité littéraire africaine. Crépuscule des temps anciens est officiellement le premier roman africain francophone qui a innové le style littéraire par l’apport surabondant de la littérature orale. Il est vrai que dans la littérature anglophone, cette personnalité africaine dans le style existait déjà chez Chinua Achebe dans Le Monde s’effondre.

C’est plus tard, que Michel Hausser a regretté que l’Occident n’ait pas fait un meilleur accueil à ce livre. Il semble que les critiques les plus virulentes sont venues de Robert Cornevin qui déplorait les africanismes du style.

Six ans plus tard, Ahmadou Kourouma récidive avec Les Soleils des indépendances contenant les mêmes « défaillances » que Crépuscule des temps anciens, c'est-à-dire les sacro-saints africanismes du style. La réaction des gardiens de la pureté stylistique, probablement encore Cornevin, le vétéran de la coloniale à l’époque dans le domaine littéraire, fut la plus dure. On refusa la publication du livre. Ce sont les Éditions Naaman au Québec qui publièrent et primèrent le roman, en saluant particulièrement l’originalité pour « les africanismes » que les puritains français du style avaient condamnés. L’équipe du concours de Naaman qui avait sélectionnés Les Soleils des indépendances partageait le même point de vue que les écrivains de Bancoville : écrire en français ne doit pas signifier parodier la littérature française, mais cela consiste à préserver son originalité, sa personnalité. Seuil est vite revenu sur sa décision pour négocier un contrat de publication de son livre en faisant évidemment miroiter les nouveaux  avantages que Naaman ne pouvait procurer à l’écrivain ivoirien.

Selon les aveux de l’auteur[13], ce sont les persécutions mêmes qui l’ont poussé à la littérature. Les intellectuels mariés à des Françaises étaient craints par les dictateurs africains qui les considéraient souvent comme des solutions de rechange aux fauteuils présidentiels, ils les accusaient d’être des fauteurs de coups d’état puis les assassinaient. Ahmadou Kourouma avait une épouse française, Houphouët l’accusa d’activisme politique et l’emprisonna. À sa libération, il prit la route de l’exil pour sept ans en Algérie. C’est là que commença sa carrière littéraire avec la rédaction des Soleils des indépendances.

Houphouët aurait-il influencé, par l’entremise de Senghor et Cornevin, le refus de Seuil de publier le roman de Kourouma ? En tout cas, après le grand succès qu’a connu le livre, la réconciliation eut lieu, Kourouma revint au bercail. Cette réconciliation n’était –elle qu’apparence ? Dans les romans qui suivirent, le « diseur de vérité » de Togobala redoubla de virulence dans ses diatribes enflammées contre son « dictateur » président. Dans le dernier roman avant sa mort, Allah n’est pas obligé, Kourouma ne se donnait même plus la peine de jeter un flou sur les noms des personnages ainsi que les localisations géographiques, comme il avait l’habitude de la faire. Certains présidents africains comme Kadhafi, Houphouët, Compaoré sont nommés et traités de « bandits ».

Dans son troisième roman, En attendant le vote des bêtes sauvages, c’est Yadéma qui est visé. Les signes et indices qui le désignent ainsi que son pays et sa politique, sont nombreux : le pays des hommes nus en montagne ressemble à la région montagneuse de la ville de Kara d’où Yadéma est originaire. Le pays du Golfe dans le récit et le Togo ont la même superficie…

Il semble qu’après la publication du livre, il n’avait jamais voulu retourner au Togo. Pourtant, il y a séjourné très longtemps et ses amis au pouvoir étaient très nombreux. Le margouillat qui a déjà perdu la queue reconnaît à temps les signes du danger. C’est toujours à pas de course qu’il rejoint le trou de la protection.

Mais malgré cette vigilance, sa mort surprit tout le monde, et les rumeurs accusatrices commencèrent à circuler. Comment une simple petite crise de prostate pouvait-elle si facilement terrasser le géant écrivain « fromager » ? clamait la rumeur. Certains accusateurs lorgnèrent du côté du Togo. Le président vilipendé dans le livre, était un homme puissant, les hommes puissants ont des ramifications insoupçonnées et partout dans le monde. Sinon, comment ne pas se réveiller après une opération aussi bénigne que celle que Kourouma a subie ? La discrétion dans les sociétés secrètes, est le gage de leur solidarité ! Mais ces rumeurs ne tiennent pas comptent de la complexité de la médecine. La maladie la plus bénigne peut envoyer un patient de vie à trépas sans qu’on en cerne des explications convaincantes.

Le Devoir de violence de Yambo Ouologuem parut la même année (1968) que Les Soleils des indépendances.

C’est le premier roman africain qui ait été récompensé du prix Renaudot. C’est aussi le roman africain qui a déclenché la plus grande colère et la plus grande polémique en Afrique comme en Europe. Malheureusement le triomphe du lauréat de Renaudot fut de courte durée. Il en perdit tout le bénéfice dans un procès monté de toutes pièces contre lui, l’accusant de plagiat.[14]

Le grand écrivain dogon admiré du monde entier pour ce même livre était –il vraiment plagiataire ?[15] Seuil avait semble-t-il informé l’auteur qui avait dit que c’est lui qui devrait à Ouologuem, parce qu’il a puisé dans sa culture pour écrire son livre et non pas le contraire. Le Devoir de violence est souvent cité comme l’un des récits qui ont véritablement révolutionné le style romanesque africain.

Si le poisson sort de l’eau et annonce que le caïman a mal aux yeux, pourquoi refuser de le croire ? Les animaux aquatiques d’un même cours d’eau se connaissent et sont informés les uns par rapport aux autres. En 2007 à Ouagadougou au cours d’un colloque, Jacques Chevrier, un autre vétéran de la coloniale, et qui a certainement ses entrées chez les éditeurs français, a expliqué que la Négritude (en citant nommément Senghor) était impliquée dans le triste sort de Ouologuem. Depuis le procès fatidique qui a ruiné le brave dogon, celui –ci est depuis des décennies, victime d’une maladie mentale qui l’a transformé en loque humaine. La sagesse africaine dit que la mort est préférable à la honte : la folie fait partie de ces maladies redoutables comme la peste qui équivaut à la honte. En Afrique toutes les mères le disent : elles préfèrent la mort à la folie. Il serait fastidieux de citer tous les écrivains africains victimes de violence.

Nous allons évoquer deux derniers cas, sans entrer dans les détails parce qu’ils constituent des dossiers pendants de justice. C’est le cas de Paulin Bamouni grand poète et romancier burkinabè, fidèle compagnon de Thomas Sankara, assassiné avec ce dernier le 15 octobre 1987. Norbert Zongo était lui aussi considéré comme un grand romancier au Burkina Faso. Après son célèbre roman intitulé Le Parachutage, il publia un deuxième portant le titre Roubeinga. C’est Le Parachutage qui a déclenché les malheurs de Norbert Zongo. Dès l’avertissement, il a expliqué comment ce livre a failli lui coûter la vie au Togo quand dans sa fuite, il a pu rejoindre son pays, malheureusement il n’était pas comme il le croyait au bout de ses peines. On le jeta en prison où il subit des tortures atroces. C’est le déclenchement de la révolution burkinabè qui a permis au livre de voir le jour. Il partageait la même passion que Kourouma à qui il avait fait lire le manuscrit du Parachutage : le combat de la dictature. C’est ce même combat qu’il voulut continuer en journalisme d’investigation. Le 13/12/98, Il fut réduit en six kilos de cendres et de charbon dans sa voiture carbonisée par un commando inconnu.

[1] Michel Hausser, Littératures francophones, Paris, Belin, 1998

[2] Léopold Sédar Senghor, L’Anthologie de la poésie nègre et malgache, Paris 1949

[3] Lylian Kesteloot, Les Écrivains noirs de langue française : naissance d’une littérature, Éditions de l’Université de Bruxelles, 1977

[4] Bernard Mouralis, Littérature et développement, Silex, 1984

[5] Jean Pierre Makouta, Introduction à l’étude du roman africain de langue française, NEA, 1980

[6] M. Hausser, op. cit,

[7] Jean Bogliolo, « Robert Randau 1873-1950 » in Algérianiste, N° 43, 1988 « Une chose aussi confondante (dit Bogliolo) pour tout esprit non prévenu – que le grand public hexagonal l’ait aussi sottement ignoré et que l’institut de France (en particulier l’Académie) n’ait jamais honoré une parcelle de son œuvre immense. En 1921 il avait admis d’être présenté par l’AEA, à condition que, en cas de succès, le montant du prix fut versé à l’association – mais échec, sa candidature indirecte ayant été torpillée », p.6.

[8] Jean Dejeux, Littérature maghrébine de langue française, Ottawa, Naaman, 1973, p.15

[9] Bintou Sanakoua, « Amadou Hampâté Ba (V. 1900-1991 » in Le Temps des marabouts de David Robinson et Jean Louis Triaud, Karthala, 1977, pp. 395-410.

[10] Amadou Hampâté Bâ raconte dans Oui mon commandant, les nombreuses actions que Randau a menées en faveur des indigènes. Un postier à Ouahigouya est condamné à huit ans de prison pour détournement de deniers publics. Les enquêtes ayant montré que c’est le commandant de cercle qui en était l’instigateur en faveur de sa petite amie venue de la France, Randau cassa le jugement est relaxa le prisonnier.

Le commandant de cercle aimait les femmes peul. Un mari cocu surprit sa femme dans les bras de l’administrateur vicieux. Il rossa proprement le coureur de jupons, puis s’enfuit. Le commandant cria à l’assassin qu’il voulait qu’on ramène mort. Celui-ci alla tout raconter à Randau. Le jugement le relaxa et le commandant fut affecté dans la minable subdivision  de Ouahabou : lui et sa femme se suicidèrent.

[11] Modibo H. Sidibé, Fily Dabo, un grand sage africain, Imprim Color Bamako, 2007.

[12] Roger Mercier dans Birago Diop, Paris, Fernand Nathan, 1971, donne des indices sur le séjour ouagalais du conteur : « Birago Diop avait été renvoyé en territoire africain en Côte d’Ivoire puis en Haute-Volta (d’où le conte : Liguidi malgam, le nom d’un village à côté de Koupéla qui veut dire l’argent m’a arrangé) » p.7 même à la page 6 « paysan noir et berger peul. Nitjéma et poulo », le premier mot signifie en mooré vieillard.

[13] Madeleine Borgomano, « Écrire c’est répondre à un défi » in Notre Librairie, Cahier spécial Ahmadou Kourouma : l’héritage, 2004. Kourouma : « Je n’ai pas décidé d’écrire… La chose s’est imposée lorsqu’en 1963 Houphouët –Boigny a obligé un certain nombre d’intellectuels dont j’étais à avouer qu’ils préparaient un complot (…° j’ai voulu écrire pour témoigner », p.139.

[14]  M. Hausser, op. cit, p. 95 « Les emprunts reprochés à l’auteur font partie du système». Nous avons mené des recherches, sous la direction de Hausser en 1978 dans le cadre de notre mémoire de maîtrise, sur le roman. Ce travail nous a révélé que Ouologuem avait beaucoup de défenseurs. Même l’auteur du roman où les deux pages ont été plagiées, ne partageaient pas le point de vue des accusateurs, surtout que Ouologuem disait avoir mis des guillemets que l’éditeur avait probablement oubliés.

[15] En réalité, Ouologuem étant agrégé en anglais, il s’agissait de deux pages empruntées à un roman en anglais de Graham Greene.

Pr Issou GO

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Tag(s) : #Critique littéraire
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