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                                                    Au nom d’une femme !

 

Plusieurs fois, N’Gaow avait consulté le célébrissime Baga du village de Nonki. Et plusieurs fois, Baga lui avait dit et répété : la hargne avec laquelle tu veux t’enrichir est dangereuse. Tu ne survivras pas à ton enrichissement. Ta richesse te sera fatale, elle causera ta perte. Renonce-s-y !

- Ne craignez rien pour moi. Où je suis, j’ai déjà tout perdu. Il ne peut rien m’arriver de pire qu’il ne m’est encore arrivé. J’ai assez souffert, je suis jeune il est grand temps que je jouisse de mes vingt-sept ans. Je dois donc être riche, très riche ; peu importe ce qu’il m’en coûtera.

Et il narra au devin médusé sa dernière mésaventure : la goutte d’eau qui fit déborder le vase. A la fin, il dit au devin : « Vous voyez, monsieur, que l’eau ne peut laver la souillure de cette humiliation. Seul l’argent le peut. L’argent me permettra de retrouver mon honneur, ma dignité bafoués et perdus. Et elle me mangera dans la main. Mille fois, elle me suppliera de lui pardonner le mal qu’elle m’a fait. Mille fois, je l’ignorerai.»

Pour souffrir, il faut avoir véritablement aimé. Qui n’a jamais souffert n’a jamais aimé. A la façon dont le jeune homme vouait une haine viscérale à son ex petite amie, le devin devina aisément que N’Gaow l’avait aimée à la folie, qu’il avait pratiquement construit son monde autour d’elle. Et voilà que, tel un château de cartes, ce monde rêvé s’écroulait soudainement. Imaginez le choc ! Ah, les femmes…!

Mais ce que le médium avait vu au fond de sa calebasse magique au sujet du jeune homme était on ne peut plus terrifiant : des liasses de billets de banque… un brasseur… du sang… beaucoup de sang… et un corps d’enfant… sans tête. Baga  fut  troublé par cette vision. Il avait compris le message que lui avait envoyé sa calebasse magique. Certes, N’Gaow sera riche, riche comme Crésus. C’était ce que signifiaient toutes ces liasses de billets. Mais ce sang…ce corps d’enfant… sans tête ne présageaient rien qui vaille… il aura la mort à ses trousses !

 Comment révéler une telle chose à ce jeune homme de vingt-sept ans, assis là, en face de lui, sur une  peau de mouton et qui s’était convaincu que l’argent était la clé de toute chose. Sa conviction était maintenant toute faite : tout avait un prix : l’amour, la parenté, l’amitié, l’honneur, les titres, etc. Il suffisait  juste d’y mettre le prix. Tout son malheur  venait du fait qu’il était issu des bas quartiers, qu’il était fils de fellah. Alors il s’était juré : pauvre, je suis né ; riche, je mourrais. Face à tant d’abnégation, Baga ne put que lui ressasser la même mise en garde. Ta richesse te sera fatale, elle causera ta perte. Renonce-s-y !

Quand enfin Baga lui révéla, à sa grande surprise, qu’il ne pouvait accéder à sa requête, le bonhomme se leva furieux et sortit non sans marmonné quelque chose entre ses dents. Il n’avait que faire des avertissements d’un vieillard terré au fond de sa case et qui visiblement ignorait beaucoup des réalités du monde d’aujourd’hui où le nouveau dieu s’appelle argent et où  ce que tu es se mesure à ce que tu as. L’adage disait : dis-moi ton compte en banque et je te dirais qui tu es.

L’homme déterminé arrive toujours à ses fins puisqu’il s’en donne les moyens et quoiqu’il arrive ne désespère pas. N’Gaow, de renseignements en renseignements, de charlatans en charlatans, de devins en devins finit par atterrir chez Otchampong, le charlatan à la sinistre réputation. Trop d’histoires sordides  courraient à son sujet si bien que ses concitoyens évitaient de croiser sa route. On le disait capable de vous tuer un homme à distance, de vous faire perdre la tête, de vous appauvrir, du jour au lendemain, un homme à la fortune pyramidale ; ou de vous transformer par un tour de passe-passe magique un clochard en un véritable richard, etc. Etait-ce vrai ? Etait-ce faux ? Les rumeurs allaient bon train.

C’est donc ce sinistre personnage que le jeune amoureux éconduit alla voir dans sa quête obstinée de richesse.

- Je t’écoute ! indiqua-t-il  au jeune homme d’un ton martial.

 Il lui déclina sans circonlocutions l’objet de sa quête.

            - J’ai besoin d’un prétexte.

N’Gaow lui raconta…

            Fils de paysan, il avait connu et sympathisé avec Brigitte, une fille dont la famille appartenait  à la nouvelle bourgeoisie émergente de Koira-Noma. Ils étaient tous les deux régulièrement inscrits à la faculté de droit en deuxième année. L’amitié, dit-on, est parfois un amour caché. Quand celle-ci tire à sa fin, l’amour fait son apparition. C’est ainsi qu’ils finirent alors par s’amouracher l’un de l’autre en dépit de l’hostilité des parents de sa bien-aimée qui parce que N’Gaow n’avait rien, n’était rien, et ne pouvait donc pas prétendre être leur gendre.

Un soir, ils s’aimèrent. De cette union naquit un enfant, joli comme un cœur ; c’était son fils mais on lui en refusa la paternité  au profit d’un nouveau riche de commerçant, un énergumène qui se faisait crânement appeler Douk Saga et qui était prêt à toutes les compromissions possibles pour épouser Brigitte. Quand il voulut contester la version de ses beaux-parents, Brigitte le renia. Piqué au vif par cette attitude de son amante, il exigea alors un test ADN qui lui donna bien entendu tort. On avait acheté les pauvres médecins commis à la tâche. « J’ai agi ainsi parce que comme tu n’as pas les moyens, tu ne pourras pas assurer à mon enfant l’éducation de qualité qu’il lui faut. Tandis qu’avec Douk Saga, il ne manquera de rien, lui expliqua sans sourciller Brigitte.»

Où était donc passé leur amour ? N’Gaow n’en revenait pas. C’était donc à partir de cet instant qu’il s’était juré de goûter aux délices de la richesse.

            - Ainsi, tu veux être riche ?

            - Oui !

            -Tu veux être riche ?

            - Oui !

            -Tu veux être riche ?

            -Oui !

            - Peu importe donc les conséquences ?

            - Peu importe les conséquences !

            - Peu importe les conséquences ?

            - Peu importe les conséquences !

            - Peu importe les conséquences ?

            - Peu importe les conséquences !

            Par trois fois Otchampong lui avait demandé s’il voulait être riche par delà toutes les conséquences. Par trois fois N’Gaow lui avait répondu par l’affirmative. Par ce rituel, il s’était ainsi assuré de la ferme volonté de son client. Car une fois le processus enclenché, il était irréversible.

            Il posa ses conditions financières [cela s’entend]. N’Gaow s’en acquitta. Il sourit à la vue des liasses de billets qu’on lui tendait. Il prit alors quelques poudres suspectes toujours à portée de main qu’il mélangea avec une eau non moins mystérieuse. Puis, il en badigeonna le corps de son client. Quand il eut finit, il lui intima l’ordre de ne pas se laver pendant trois jours et trois nuits. Le jeune homme acquiesça de la tête. « Lève-toi et va, lui signifia-t-il, ta volonté sera faite ! »  N’Gaow s’exécuta. Il était loin de se douter de ce qui l’attendait à Koira-Noma. Être riche, avait-il souhaité, et cela peu importait les conséquences ?

            Dès le lendemain de son retour à Koira-Noma, on lui apprit la mort de l’enfant de Douk Saga, son enfant. On le rassura. L’enfant n’avait pas souffert. Il s’était endormi et ne s’était plus réveillé. Le pauvre ! il venait  de souffler sa première bougie.

Don ? Prêt ? Jackpot ? Providence ? Nul ne sut comment, mais après cet incident,  N’Gaow  disposait d’une certaine somme d’argent. Avec, ce fonds, il monta de petites affaires : ventes en détails de cartes de recharges téléphoniques par-ci,  ventes de journaux par-là, etc. Mine de rien, ses affaires prospérèrent. Et au bout de douze mois, il était à la tête d’un empire financier extraordinaire. Qui l’eût cru ?

Son rêve s’étant réalisé, il songea à fonder une famille donc à se marier. La nouvelle se répandit. Les plus belles femmes de Koira-Noma se jetèrent à ses pieds. Brigitte, son ex était du lot ! Que s’était-il passé ? Son père qui était pourtant un cacique du pouvoir était en prison pour détournement de deniers publics. Le  gouffre financier qu’il avait creusé au sein de son service  était si énorme que ses camarades du parti ne pouvaient le défendre. Quant à son mari, Douk Saga, il s’était ruiné au jeu. Brigitte était maintenant seule et laissée à elle-même. Elle avait espéré que l’autre la reprendrait. Mais c’était à peine si N’Gaow avait daigné la regarder préférant convoler en justes noces avec  l’unique fille du DG de la Banque d’investissement de Koira-Noma.  Tout ce que la ville comptait comme V.I.P. étaient là. C’est si peu dire que le mariage fut pompeux. Il fit la Une de tous les canards du pays… Les griots et autres laudateurs  prédirent prospérité et longévité à Monsieur et Madame… Mais un an après leur mariage, quatre jours exactement [selon sa dernière échographie] avant son accouchement,  la belle Mme N’Gaow perdit la vie dans un tragique accident de circulation. Le bonhomme en perdit le sommeil. C’était son premier mariage.

Le deuxième mariage qu’il contracta fut moins fastueux. Néanmoins, il eut une fin tout aussi tragique que le 1er. Sa compagne mourut en couche. Et comble de désespoir, l’enfant ne survécut pas ! Le 3e mariage ? Il n’y en eut pas. Car des rumeurs les plus folles commencèrent à  circuler à son sujet si bien que malgré sa fortune aucune damoiselle ne voulut de lui comme compagnon de route. Qui sait, un accident est vite arrivé ! disait-on.

Au bout de quelques temps, il lui sembla que tout le monde le fuyait. Il se retrouva alors seul : sans femme, sans enfant, sans amis. Mais sa fortune demeurait. C’était donc ça ! se dit-il en pensant aux mises en garde de Baga.

Un jour qu’il était dans son superbe châtelet et qu’il méditait sur sa triste condition, N’Gaow reçut une visite inattendue. Celle d’une femme d’un âge quelque peu avancé. Elle avait au dos un enfant de six ans qui dormait les poings fermés. Dans une main du garçonnet plongé dans les bras de Morphée, il remarqua un crayon de papier. Il reçut l’étrange visiteuse au salon. Un gigantesque brasseur [ventilateur] richement orné brassait l’air au dessus de leur tête.  La dame s’expliqua. Une des tantes manche-longue de N’Gaow  [en français : lointaine tante] avait piqué une crise de folie. On lui envoyait l’enfant afin qu’il s’en occupât. L’homme bénit  le Ciel. Décidément, le malheur des uns faisait véritablement le bonheur des autres.

Il adopta cet enfant. Il lui donna son nom [N’Gaow-Junior] et l’inscrivit à la petite Académie des Beaux-arts de Koira-Noma.  Il avait découvert  que Junior  avait un don inné pour le dessin,  la peinture. Il dormait avec son fameux crayon de papier à la main et se réveillait avec. Il était éveillé, vif d’esprit et  N’Gaow, son père était très fier de lui. Ils étaient partout ensemble. C’est lui qui le déposait personnellement à l’Académie. C’était encore lui qui venait le chercher à la descente.

Le temps mine de rien avait passé. N’ Gaow avait oublié les ténébreuses prédictions du devin de Nonki. Il se la coulait douce avec Junior. Lequel avait maintenant neuf ans. Quant à lui, il s’apprêtait à souffler ses trente bougies. L’enfant se promit de lui faire une surprise. Il avait son idée… Il se mit donc au travail. Puis le jour J arriva.

Ce soir-là, quelle ne fut la surprise de N’Gaow quand en traversant le salon, il entendit la voix fluette de Junior lui souhaiter joyeux anniversaire papa en même temps qu’il lui tendait un papier ! Sa surprise fut encore plus grande quand il ouvrit ledit papier et découvrit son propre portrait artistiquement croquer par les mains expertes de l’enfant.

Transporté par la joie, il souleva haut, très haut Junior… et sans le savoir, sans le vouloir, il offrit le cou encore frêle du jeune enfant  au brasseur qui tournait en plein régime… Un cri strident…puis… plus rien !

Baga avait vu juste… un brasseur… du sang… beaucoup de sang… et un corps d’enfant… sans tête !

Adamou L. KANTAGBA, kantadamoul.over-blog.com

A lire aussi dans Le Pays N° 4927 du vendredi 12 août 2011 

 

 

 

 

 

 

  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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